Voici comment l’industrie maritime canadienne peut réduire ses impacts sur la crise climatique

Le transport maritime relie le monde entier en fournissant des biens essentiels. Mais bien que ce moyen de transport puisse se vanter de posséder la plus faible empreinte carbone par tonne transportée, on ne peut plus ignorer les impacts tout de même significatifs de l’industrie sur les dérèglements climatiques.

Le transport maritime canadien a contribué à lui seul pour 8 millions de tonnes de CO2 en 2019, selon notre récent rapport (en anglais), alors que la navigation mondiale est responsable de 3 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) – plus que les avions! – et qu’on projette une hausse de 16 % entre 2018 et 2030 si rien n’est fait maintenant.

Cargos à l’arrêt dans la baie de Vancouver au coucher du soleil.
Cargos à l’arrêt dans la baie de Vancouver au coucher du soleil. © Shutterstock

 

Voici pourquoi la nouvelle a fait les manchettes quand 19 pays, dont le Canada, se sont mis d’accord à la conférence COP26 sur le climat pour annoncer de nouveaux corridors maritimes verts, soit des routes maritimes partagées ayant pour but d’accélérer la venue du transport maritime sans émission.

Mais malgré que le transport maritime garantisse enfin des cibles de la part des dirigeant.e.s du monde, le Canada n’a actuellement aucune cible de réduction des GES ou du carbone noir pour l’industrie maritime nationale. Des objectifs doivent être soutenus par des cibles, des délais et des règlements. Le Canada a considérablement échoué à cette tâche et l’Organisation Maritime Internationale (OMI) ne l’a fait que très faiblement, et avec une cible qui ne maintiendra pas le réchauffement planétaire sous 1,5 °C.

(Ce fait a été reconnu quand la Presse canadienne a publié une histoire sur le fait que le Canada étudiait « une proposition internationale qui doublerait l’ambition de ses objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre provenant du transport maritime, » en fixant la cible de zéro émission d’ici 2050. Mais tout en démontrant un progrès, l’article note aussi que « le libellé de la résolution n’est pas contraignant, disant seulement que les objectifs actuels sont inadéquats et que la carboneutralité est « essentielle ». »)

L’enjeu réel est que la plupart des navires brulent du mazout lourd, un carburant sale qui, en plus de rejeter des GES comme le dioxyde carbone, le dioxyde de soufre et des oxydes de nitrogène, produit aussi de toutes petites particules de poussière appelées carbone noir.

Le carbone noir compte pour un cinquième de l’impact climatique de la navigation

Ce résidu moins connu du mazout lourd retombe sur la banquise arctique, absorbant la lumière du soleil et la convertissant en chaleur, accélérant grandement la fonte des glaces et augmentant le réchauffement atmosphérique. Il est aussi toxique et contribue aux maladies cardiaques et respiratoires dans les communautés de la région.

Un Inuk regarde un brise-glace, Nunavut, Canada.
Un Inuk regarde un brise-glace, Nunavut, Canada. © Paul Nicklen / National Geographic Stock / WWF-Canada

 

Le carbone noir a un impact sur le réchauffement climatique qui est semblable à celui du méthane, ce qui a fait dire au Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat qu’il fallait en réduire grandement la consommation pour aider à atteindre des cibles climatiques. Cependant, il n’y a pas de règlementation mondiale de l’OMI pour le restreindre.

Ce qui pourrait le plus s’en approcher serait un faible projet de plan d’interdiction de mazout lourd en Arctique qui n’entrera pleinement en vigueur qu’en 2029 et qui présente d’amples lacunes. Le Conseil de l’Arctique a créé des cibles et des échéanciers pour réduire le carbone noir, mais il n’y a eu aucun suivi de la part du gouvernement fédéral.

Ces règlementations faibles et vaguement appliquées en rajoutent sur l’ambigüité dans la responsabilité des autorités fédérales et internationales de réduire la pollution causée par les navires. Pour que le Canada garde le réchauffement planétaire sous la barre du 1,5 °C, nous devons atteindre le seuil carboneutre d’ici 2050 en réduisant les GES et les autres émissions à travers la décarbonation générale de l’économie, ce qui inclut de les rendre obligatoires au secteur du transport maritime.

Une façon de le faire est d’appliquer les mécanismes de réduction des émissions comme la Norme sur les combustibles propres (NCP) et la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre spécifiquement à l’industrie du transport maritime, dont les règlements ne sont pas actuellement maximisés pour décarboner cette industrie au rythme nécessaire.

Bien que le Canada ne réglemente pas en eaux canadiennes, nous pouvons commencer avec notre transport maritime national (en arrivée ou en partance d’un port canadien), lequel est responsable de près de 30 % (en anglais) des émissions de CO2 du secteur en 2019.

À quel point la Norme sur les combustibles propre est-elle propre?

Le premier objectif de la NCP est d’augmenter l’offre de combustibles propres et les investissements dans les technologies avancées de tout secteur utilisant des combustibles pour atteindre au moins 17,5 tonnes de réduction annuelle en émission de GES avant 2030, à travers l’établissement d’un marché de crédits où les parties émettrices pourraient gagner ou acheter des crédits. Si la NCP pouvait offrir une voie potentielle pour une transition des combustibles sales, comme le mazout lourd, vers des combustibles plus propres, comme l’hydrogène ou l’ammoniac, la règlementation telle qu’elle est conçue en ce moment manque le bateau.

En juillet 2021, juste avant de publier son projet de réglementation, le Canada a discrètement décidé d’exclure le mazout lourd de la portée de la NCP. Puisque la réglementation finale reste à être publiée, le WWF-Canada et d’autres organisations non gouvernementales environnementales se mobilisent pour que le gouvernement ne rate pas l’occasion et encourage le changement vers des combustibles propres.

Conteneurs dans le port de Sorrento, Italie.
Conteneurs dans le port de Sorrento, Italie © Edward Parker / WWF

De plus, les combustibles vendus pour les bateaux ayant pour destination des ports internationaux ne seront pas inclus dans la NCP, étant donné que les émissions du transport maritime international sont réglementées par l’OMI.

Toutefois, il y a des critiques considérables au sujet de l’incapacité de l’OMI de mettre en œuvre des réglementations climatiques efficaces.

 

Et combien coute notre avenir?

Le système canadien de tarification du carbone, selon la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, est un premier pas de géant pour le Canada. Ce système a le potentiel d’encourager la navigation propre, en particulier parce qu’il y a une taxe sur le mazout lourd, mais des renforcements sont encore nécessaires. Une partie du système de tarification du carbone est une redevance règlementaire sur les carburants fossiles, qui varie selon la province mais devrait au moins atteindre le seuil fédéral de 40 $ la tonne d’émissions en 2021.

Toutefois, plusieurs juridictions (Colombie-Britannique, Terre-Neuve-et-Labrador, Nouvelle-Écosse, Île-du-Prince-Édouard, Québec, Territoires du Nord-Ouest) ont leur propre version de système de tarification du carbone et la norme fédérale n’exige pas de ces provinces et territoire que leur système couvre explicitement les carburants marins. Certains, comme Terre-Neuve-et-Labrador, l’ont exclu.

La tarification du carbone ne sera pas en mesure d’inciter à la réduction requise des émissions de l’industrie du transport maritime jusqu’à ce que le prix du carbone soit plus élevé que les couts associés à l’atténuation de la pollution par le carbone. Les Îles Salomon, les Îles Marshall et les Tonga ont demandé qu’un prix universel du carbone de 100 $/tonne soit imposé à l’industrie. Le prix en vigueur au Canada, bien qu’il aide, n’entrainera pas la réduction nécessaire, à moins qu’il n’inclue explicitement les carburants maritimes et que le taux d’augmentation annuel ne soit relevé, lequel est actuellement aussi bas que 15 $/tonne par année.

Aller de l’avant

L’effet net des règlementations canadiennes sur l’industrie maritime est trop faible pour réduire les émissions au rythme nécessaire. Le gouvernement doit établir des cibles plus ambitieuses, comme d’autres pays l’ont déjà fait.

L’Union européenne (UE) a pris l’engagement juridique de devenir le premier continent carboneutre avec une cible de 55 % de réduction de ses émissions des taux de 1990 avant 2030, sans qu’aucun secteur n’en soit exempté. Les compagnies de transport maritime payent aussi pour tout carbone émis durant les trajets domestiques et la moitié de leurs émissions émises lors de trajets en direction et provenant de ports n’appartenant pas à l’UE.

Des cibles ambitieuses pour l’industrie maritime sont aussi en pourparlers aux États-Unis, où l’administration Biden s’est engagée à travailler avec des pays membres de l’OMI pour atteindre la carboneutralité d’ici 2050.

Pour résumer, la navigation est une des clés de l’équation qui nous permettra d’atteindre nos engagements climatiques. Maintenant, le Canada doit travailler à réduire ces émissions en mettant en vigueur des règlementations strictes, avec des applications claires pour l’industrie maritime, qui soient étayées par des cibles et des délais, tel que montré ci-dessous.

Infographie GES transport maritime © WWF-Canada
Infographie GES transport maritime © WWF-Canada