Une expédition menée par des femmes inuites pour partager les connaissances des Netsilikmiut
Par Emina Ida et Joshua Ostroff
Appelé.e.s Netsilikmiut ou « peuple du phoque annelé », les Inuit de la région de l’est du Kitikmeot, au Nunavut, entretiennent des liens familiaux profonds depuis des générations, bien avant la colonisation.
Alors que l’avancement du projet d’aire protégée et de conservation inuite (APCI) Aqviqtuuq (en anglais seulement) – d’une superficie de près de 90 000 km2 – va bon train, l’intérêt et l’appui s’accroissent grâce à des rencontres et à des ateliers tenus en inuktitut, comme une première visite des communautés et une rencontre d’échanges de connaissances (en anglais seulement) qui ont eu lieu l’hiver dernier à Iqaluit.

Au printemps dernier, des employé.e.s du WWF-Canada ont rejoint des membres de la Taloyoak Umaruliririgut Association (TUA) – l’organisation de chasseurs et de trappeurs (OTC) de la communauté de Taloyoak – pour une seconde visite des communautés voisines Kugaaruk et Gjoa Haven, dans l’est de la région de Kitikmeot.
Ce voyage a permis d’informer les représentant.e.s locaux des progrès accomplis dans le projet Aqviqtuuq et de tenir des rencontres publiques au cours desquelles les habitant.e.s ont pu poser des questions à Lena Neeveacheak, à Viola Neeveacheak et à Elizabeth Aiyout de la TUA, ainsi qu’à son gestionnaire, Jimmy Ullikatalik.

Bien que le projet d’APCI est mené par les Netsilikmiut de Taloyoak, la TUA estime que les efforts profiteront également aux communautés de Kugaaruk et de Gjoa Haven, une vision qui reflète la forte tradition d’entraide, de collaboration et de partage des ressources de ces communautés.
Toutefois, les couts de déplacement dans le territoire peuvent être exorbitants. C’est pourquoi le WWF-Canada soutient ces échanges de connaissances en personne pour donner l’occasion aux Netsilikmiut d’aider et d’apprendre les un.e.s des autres en plus d’élaborer des programmes de Gardien.ne.s et des propositions d’aires protégées.
Ces initiatives sont fondées sur les principes de l’Inuit Qaujimajatuqangit, c’est-à-dire le savoir que les Inuit ont toujours connu comme étant vrai, qui leur sert de guide pour maintenir les liens entre les peuples et le territoire.
Bien que les femmes autant que les hommes possèdent des connaissances essentielles à la culture et aux traditions inuites, les rôles de leadership au Nunavut sont encore souvent occupés par des hommes. Dans ce contexte, l’expédition menée par trois femmes inuites représentant la TUA et le projet de l’APCI Aqviqtuuq revêtait une signification encore plus particulière.
Les femmes leaders contribuent à assurer la diversité des points de vue dans la prise de décisions, en enrichissant et en renforçant les initiatives environnementales et culturelles grâce à un large éventail d’idées et d’expériences, en plus de servir de modèles pour les générations futures.
Nous avons donc rencontré ces femmes pour connaitre leurs impressions sur ce voyage de partage des connaissances.

Pour commencer, pouvez-vous nous parler un peu de vous?
Elizabeth Aiyout : J’ai vécu à Taloyoak toute ma vie. J’aime ma maison, mon pays, les animaux qui peuplent le territoire. J’adore les aliments traditionnels – j’ai grandi en me nourrissant de viande de phoque et de poisson –, mais nous ne chassons pas de façon excessive. Je peux manger n’importe lequel de ces aliments, alors je pense qu’il est important de protéger notre environnement. J’aime faire partie du conseil d’administration de la TUA et essayer d’améliorer les choses. J’essaie d’aider tout le monde. C’est toujours agréable de rendre les gens heureux. Ça rend heureux.
Viola Neeveacheak : Salut! Je suis la trésorière de la Taloyoak Umaruliririgut Association. J’ai commencé à siéger au conseil d’administration en 2019. Le rôle de trésorière peut être assez difficile, mais ça se passe quand même bien.
Lena Neeveacheak : J’ai vécu ici toute ma vie et j’ai commencé à la TUA il y a deux ans. J’aime vraiment mon travail et le fait de côtoyer tout le monde. Je fais des tâches administratives au bureau et je travaille avec les Gardien.ne.s. Je réponds à toutes leurs questions.
Que vouliez-vous accomplir au cours de ce voyage?

Viola Neeveacheak : J’avais envie d’y aller parce que Taloyoak, Kugaaruk et Gjoa Haven sont des communautés voisines très proches, et je voulais voir leur environnement de travail et mieux comprendre les différences et similitudes entre nos OTC.
C’est donc par curiosité, et pour essayer de faciliter les choses et d’améliorer notre travail, comme en trouvant des façons économiques d’intégrer les principes de l’Inuit Qaujimajatuqangit au travail.
Lena Neeveacheak : Je voulais aider à faire connaitre le projet Aqviqtuuq et inciter les gens de Gjoa Haven et de Kugaaruk à lancer eux aussi un projet comme celui-là. Nous leur expliquons que cela aide la communauté, crée des emplois et permet de prendre soin de la terre.
Quels ont été vos moments forts du voyage ?
Elizabeth Aiyout : J’étais un peu nerveuse pendant le mois avant le départ, puis l’excitation m’a gagnée dans les derniers jours. Et j’avais hâte d’y aller parce que j’ai de la famille là-bas. La population de Kugaaruk semblait très intéressée. Lorsqu’on parlait, les gens se taisaient et prenaient des notes. Nous leur avons également dit que nous n’allions pas les empêcher de chasser aux frontières de nos communautés.
Il s’agit simplement de protéger notre territoire contre l’exploitation minière et d’assurer la propreté de nos terres et de notre eau. À Gjoa Haven, les gens nous ont aussi écoutées avec attention et ont démontré beaucoup d’intérêt. Certaines personnes ont posé des questions auxquelles nous ne pouvions répondre, mais nous les avons dirigées vers les ressources appropriées.

Viola Neeveacheak : Mon moment fort du voyage est ma rencontre avec l’OTC et les gens du hameau, ainsi que la tenue d’un kiosque au magasin Northern à Gjoa Haven pour recueillir les commentaires des membres de la communauté. Certaines personnes nous disaient que leurs grands-parents ou arrière-grands-parents chérissaient et adoraient Aqviqtuuq, car c’est là qu’il.elle.s avaient grandi.
C’était bien de voir leurs sourires et de pouvoir leur dire que mon grand-père vivait ici, qu’il parlait du territoire et qu’il l’aimait. C’était bien d’entendre de vieilles histoires comme celles-là.
Pourquoi est-il important que vos trois communautés travaillent ensemble pour atteindre ces objectifs de conservation?
Viola Neeveacheak : C’est important pour moi parce que ce lien remonte à nos ancêtres, aux générations précédentes, et à la façon dont il.elle.s ont grandi avant la colonisation, avant l’Église, avant la Baie d’Hudson, avant la GRC. Cela nous ramène à la façon dont nous vivions avant la colonisation, et au mode de vie traditionnel, avant que tout cela ne soit interrompu. Cela devrait continuer ainsi.
Elizabeth Aiyout : Avant d’aller là-bas, je pensais que les communautés ne nous soutiendraient pas. Mais les gens veulent suivre nos traces et faire comme nous. Il y avait un réel intérêt envers nos Gardien.ne.s et leur travail au sein de la communauté, ainsi que pour l’OTC et le projet Aqviqtuuq. Cela m’a vraiment fait du bien, et je pense que nous devrions essayer de les aider, de les soutenir et de les encourager.
À Kugaaruk, les ainés.e.s parlaient de l’endroit où leurs ancêtres avaient l’habitude de camper, au nord de Taloyoak, là où se trouve Aqviqtuuq. C’était très enrichissant de les entendre parler des endroits où leurs ancêtres chassaient le phoque et pêchaient.
Que signifiera l’APCI Aqviqtuuq pour vous et votre communauté lorsque le projet sera finalisé?

Elizabeth Aiyout : Nous ne voulons pas d’exploitation minière ou d’exploration, alors nous devons continuer à essayer de faire de notre mieux pour bâtir notre avenir. Je pense que les gens seront enthousiastes à l’idée d’aller pêcher et chasser pour l’établissement de transformation des viandes [Niqihaqut]. Et plus d’emplois seront créés.
Lena Neeveacheak : Ce projet, c’est la protection de nos terres contre l’exploitation minière. Sans cela, les animaux ne viendraient plus et nous perdrions nos animaux et notre territoire d’un seul coup. Nous devons protéger ces terres pour nos enfants et la prochaine génération, afin qu’il.elles.s puissent y venir et chasser.
Viola Neeveacheak : Il n’y a pas beaucoup de possibilités d’emploi dans notre communauté, donc le taux de chômage est élevé. Beaucoup de membres de la communauté n’ont pas de moyen de transport pour aller récolter des aliments traditionnels. Le prix des aliments et le cout de la vie dans le Nord sont extrêmement élevés.
Donc, une fois que l’aire Aqviqtuuq sera aménagée, les membres de la communauté pourront se nourrir avec des aliments traditionnels en plus d’avoir accès à des repas et à des vêtements d’hiver. À bien des égards, toute la communauté en profitera.

Comme ce voyage était mené par des femmes, je me demandais comment vous voyez la contribution des femmes à la réussite globale d’Aqviqtuuq?
Viola Neeveacheak : Les femmes ne peuvent être tenues à l’écart! Elles parviennent à trouver des solutions à bien de problèmes. Ce n’est pas une question de sexe; c’est que plusieurs têtes valent mieux qu’une.
Elizabeth Aiyout : Nous avons organisé une rencontre avec la communauté, et beaucoup de femmes étaient enthousiastes et posaient des questions sur la façon dont leurs ancêtres travaillaient les peaux et la viande, et sur le fait que cela devrait être enseigné davantage aux jeunes.
Il reste si peu de personnes qui connaissent les méthodes traditionnelles pour tailler les peaux et les coudre.
Nous pouvons faire plein de choses. Beaucoup d’entre nous sont des chasseuses et peuvent dépecer la viande. Donc le projet est aussi important pour les femmes, pas seulement pour les hommes. Peut-être qu’à l’avenir, nous pourrons désigner des Gardiennes [dans notre communauté]. Je connais de jeunes filles et des femmes qui aimeraient assumer ce rôle.
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