Traduire la science de la neige et de la glace en politiques
La cryosphère de la Terre est au bord d’un désastre évitable. Les températures à la hausse dues aux émissions de carbone poussent les communautés près des limites de leur capacité à s’adapter, forçant les régions montagneuses à affronter des pénuries d’eau et les régions côtières à être confrontées à la montée du niveau de la mer à cause de la fonte des calottes polaires.
Tel que l’écrit Amy Imdieke, directrice de la sensibilisation mondiale pour l’Initiative climatique internationale de la cryosphère, le rapport État de la cryosphère 2023 (en anglais seulement) indique clairement pourquoi nous devons garder l’augmentation de la température planétaire sous 1,5 °C.
À la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques en décembre dernier, les scientifiques ont partagé l’édition 2023 du rapport sur l’état de la cryosphère avec les leaders des gouvernements, les ministres et les négociateur.rice.s climatiques qui travaillent sur les lignes de front des politiques mondiales. Le rapport expose la science la plus récente sur la neige et la glace et met en lumière le besoin urgent de diminuer la consommation de combustibles fossiles pour prévenir les pires scénarios pour les générations à venir. Son message cette année était simple : même une augmentation de température de 2 °C est trop grande pour empêcher les effets mondiaux dévastateurs de la perte de cryosphère (note de la traduction : les portions de la surface de la Terre où l’eau est présente à l’état solide, soit à l’état de glace : banquise, calottes glaciaires, glaciers de montagne, etc.).
« Nous avons du temps, mais pas beaucoup, » ont écrit le président chilien Gabriel Boric et la première ministre d’Islande Katrín Jakobsdóttir dans la préface du rapport. « Les alertes du passé sont les faits choquants d’aujourd’hui. Les avertissements du présent seront les désastres en cascade de demain, au sein et en dehors de la cryosphère mondiale. »
Les cinq dynamiques clés de la cryosphère
Le rapport se concentre sur cinq dynamiques qui sont hautement pertinentes aux politiques climatiques nationales et mondiales : le pergélisol, la banquise, les calottes glaciaires et la montée du niveau de la mer, les glaciers et la neige de montagne, et l’acidification, le réchauffement et la dessalure des océans polaires. Le premier rapport a été publié juste avant l’emblématique conférence climatique de 2015, lorsque les scientifiques demandaient plus d’ambition alors que l’Accord de Paris était conclu.
La science de la cryosphère évolue à un rythme incroyablement rapide. Non seulement de nouveaux constats révèlent chaque année des observations inquiétantes, comme celles concernant les récentes tendances de la banquise antarctique, mais ils peignent une image de plus en plus détaillée de ce à quoi ressemblera l’avenir de la Terre suivant différents scénarios d’émissions en raison de la perte de cryosphère.
Depuis 2015, le rapport sur l’état de la cryosphère est publié annuellement à l’automne, avant la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques. Le rapport est coordonné par l’International Cryosphere Climate Initiative et revu par une équipe internationale de plus de soixante scientifiques de la cryosphère, y compris plusieurs auteur.rice.s du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). En tant qu’expert.e.s dans leur domaine, il.elle.s prennent le pouls de la cryosphère, traduisant la science la plus récente en termes qui peuvent être compris par les gouvernements, les leaders du monde des affaires, les négociateur.rice.s et le grand public. Le rapport explique la façon dont la perte de cryosphère changera le monde si nous ne réduisons pas les émissions de carbone avec suffisamment d’ambition et d’urgence.
Les recherches sur l’Arctique et l’Antarctique se sont multiplié ces dernières années, avec des observations par satellite, des expéditions et des articles en collaboration explorant même les régions les plus éloignées des calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique — deux régions de préoccupation majeure pour les nations de terres basses bien loin des pôles.
Des changements irréversibles
Tout récemment, des chercheur.se.s ont découvert que l’Antarctique occidental et le Groenland traverseront des seuils irréversibles si les températures mondiales grimpent à plus de 1,8 °C, même temporairement. Une telle augmentation engagerait ces calottes dans des pertes accrues de glace et accélèrerait la hausse mondiale du niveau de la mer pour plusieurs siècles. Seul le plus bas des scénarios d’émissions de gaz à effet de serre — selon lequel les températures atteignent un sommet autour d’une hausse de 1,6 °C et se stabilisent sous une hausse de 1,5 °C avant la fin du siècle — évite une accélération à longue échéance de la montée du niveau de la mer due aux deux plus grandes calottes glaciaires de la Terre.
La science la plus récente est claire : les calottes glaciaires ont le potentiel de stimuler une hausse du niveau de la mer plus rapide, à des températures plus basses, que ce qui était pensé. Plus sérieusement, ces changements seront essentiellement permanents, même dans la perspective d’un retour à des températures plus basses.
Le travail universitaire sur les glaciers de montagne a aussi avancé. Les modèles les plus précis prévoient de plus grandes pertes de glace aux températures d’aujourd’hui et indiquent que des siècles, peut-être des millénaires, seront nécessaires pour que cette glace se reforme une fois fondue. Un scénario à fortes émissions aurait pour résultat une perte totale ou quasi totale des glaciers de moyenne et basse altitudes avant 2100, incluant une perte de près de 80 % des glaciers de l’Hindu Kush dans l’Himalaya.
Effets en cascade
La disparition des glaciers entraine le tarissement de l’approvisionnement en eau des communautés de haute montagne et en aval, avec des effets en cascade sur l’agriculture, la sécurité alimentaire et le commerce mondial.
Ces changements dans la cryosphère ne sont pas restreints à un avenir lointain. C’est déjà la réalité pour des millions de personnes, des communautés qui vivent sur le pergélisol instable en Arctique à celles qui vivent au pied de l’Himalaya et le long des côtes des petits états insulaires.
Les évènements extrêmes augmentent en fréquence et en sévérité à travers l’Antarctique, dont des vagues de chaleur, les plus faibles conditions de banquise jamais vues, l’effondrement de la plateforme de glace et l’écroulement de populations d’espèces. Ces tendances continueront à moins que des actions radicales soient prises pour réduire les émissions de carburants fossiles à zéro avant 2050.
Néanmoins, le rapport sur l’état de la cryosphère 2023 offre un fort message d’espoir : la perte de cryosphère est encore évitable. Ce qui arrivera dépend des actions que nous prenons aujourd’hui pour réduire les émissions de carbone. Au fond, ce 1,5 °C est une fenêtre sur ce à quoi notre monde pourrait ressembler pour les générations à venir — et ce sera pire si nous prenons trop de temps pour agir.
Cet article est tiré de The Circle, la publication du Programme arctique mondial du WWF.