Soutenir l’intendance autochtone du territoire de Mushkegowuk grâce à l’échantillonnage des tourbières

Le Canada abrite des quantités massives de carbone. Et si la plupart d’entre nous croient que le carbone est stocké dans les arbres, c’est en fait dans les sols que les réserves sont les plus importantes; ils en contiennent précisément 384 milliards de tonnes.  

Nous avons pu avoir ces données grâce à notre projet Cartographie du carbone des terres canadiennes, récemment publié en partenariat avec le laboratoire de télédétection de l’Université McMaster, qui a utilisé un algorithme d’apprentissage automatique pour prédire les stocks de carbone à travers le pays.  

vue aérienne d'une forêt
© WWF-Canada / Casa di Media Productions

Bien que l’algorithme ait utilisé diverses sources de données (échantillons de sol, technologie de télédétection LiDAR basée sur l’imagerie satellitaire, variables topographiques et climatiques, et données satellitaires à long terme), la recherche sur le terrain nous permettra de préciser davantage la carte du carbone en ciblant les zones qui doivent être conservées pour empêcher le rejet du carbone à des niveaux qui modifient le climat.  

L’endroit idéal pour collecter des échantillons est l’une des zones de stockage du carbone d’importance mondiale relevées dans l’étude : les basses terres de la baie d’Hudson et de la baie James qui sont couvertes de tourbières (un type de milieu humide où s’accumulent des matières végétales partiellement décomposées).  

À l’échelle mondiale, il y a deux fois plus de carbone emmagasiné dans les tourbières que dans les forêtsi et, lorsqu’elles restent intactes, elles sont incroyablement efficaces pour séquestrer le carbone sur de longues périodes. 

D’ailleurs, afin que nous puissions mieux comprendre le carbone dans le sol, les employé.e.s du WWF-Canada et leurs partenaires du Conseil Mushkegowuk et du laboratoire de télédétection de l’Université McMaster, ainsi que des membres de la communauté représentant les Premières Nations d’Attawapiskat, de Fort Albany, de Kashechewan, de Moose Cree et de Weenusk, se sont rencontré.e.s en personne au début du mois de septembre pour recevoir une formation sur l’échantillonnage du carbone dans les tourbières.  

Personnes préparant une zone d’échantillonnage
Brian Wynne, Will Merritt et Jonathan Rickard préparant une zone d’échantillonnage © Serena Maki

Cette formation sur le terrain est l’une des premières étapes d’une série de projets d’échantillonnage du carbone menés par la communauté sur le territoire de Mushkegowuk. Nous espérons que ces travaux permettront de dresser un portrait plus clair du rôle des tourbières dans le stockage du carbone et de guider la restauration et la protection de ces écosystèmes. En tant que spécialiste associée de l’équipe Science, savoir et innovation du WWF-Canada, j’ai eu l’occasion d’y participer. 

Échantillonnage de tourbe 

Je me suis rendue à Timmins, dans le nord de l’Ontario, avec mon collègue Will Merritt, spécialiste, SIG et analyses spatiales au WWF-Canada, pour suivre une formation sur le terrain donnée par Blue Heron Environmental, une firme d’expert.e.s-conseils en environnement.  

Nous avons passé les premiers jours en classe à apprendre les meilleures pratiques en matière de travail environnemental sur le terrain et à revoir les notions de base du fonctionnement d’un GPS. Camile Söthe, chercheuse à l’Université McMaster et autrice principale de l’étude de cartographie du carbone (en cours d’examen par les pairs), a expliqué l’échantillonnage à l’aide d’un carottier pour la tourbe. Par la suite, nous avons eu la chance de tester cet équipement sur le terrain. 

Après avoir roulé vers le nord par l’autoroute 655, nous avons quitté la route pour prendre les chemins boisés avec notre équipement avant de nous installer sur une section de muskeg à proximité d’un barrage de castor.  

Le muskeg est un type de tourbière saturée, souvent composé de sphaigne très absorbante et de conifères rabougris, qui s’étend sur les terres.  

À tour de rôle, nous avons rédigé des notes de terrain détaillées, enregistré des marqueurs géographiques dans le GPS et enfoncé les carottiers dans le sol pour extraire de la tourbe.  

Le carottier est un long instrument métallique que l’on insère dans le sol à la profondeur souhaitée pour prélever la tourbe qui est retenue dans un compartiment métallique. Le carottier est ensuite retiré et l’échantillon peut être documenté. 

Échantillon de tourbe à l’intérieur d’un carottier
Échantillon de tourbe à l’intérieur d’un carottier © Serena Maki

Chaque échantillon a été soigneusement retiré, mesuré et photographié. La mise en pratique de ces étapes a été extrêmement utile, car nous avons appris rapidement que cette procédure n’est pas toujours aussi simple qu’elle en a l’air sur papier. Après avoir extrait quelques échantillons contenant plus d’eau que de tourbe, nous avons trouvé notre rythme et avons pu collecter plusieurs carottes à différentes profondeurs.  

Idéalement, les échantillons doivent être prélevés jusqu’à une profondeur de 2 m, car cela nous permet de mieux comprendre la variation de la concentration du carbone en fonction de la profondeur, l’idée générale étant que plus l’échantillon est profond, plus la quantité de carbone est grande. Cependant, en raison de la géographie du site d’échantillonnage, cela n’est pas toujours possible, car il est difficile de prévoir la présence de grosses roches sous terre. 

Après notre travail sur le terrain, nous sommes retourné.e.s en classe pour planifier les prochaines extractions et le processus d’emballage des carottes afin qu’elles puissent être transportées à l’Université de Toronto où les scientifiques analyseront la quantité de carbone qu’elles contiennent.  

Étapes suivantes 

Ce projet d’échantillonnage peut servir les nations et les communautés autochtones de plusieurs façons. Il pourrait constituer la première étape vers un programme de Gardien.ne.s du carbone, qui, à l’instar des programmes efficaces de Gardien.ne.s autochtones, soutiendrait les efforts des communautés autochtones pour assurer l’intendance des terres.  

Un programme de Gardien.ne.s du carbone comprendrait des activités précises pour mesurer et surveiller le carbone, fournissant à la fois une base de référence du carbone stocké dans la région et des données sur les gains et les pertes de carbone. Il fournirait également de nouvelles données pour appuyer l’appel du Conseil Mushkegowuk, basé sur le savoir autochtone, en faveur d’un moratoire sur l’exploitation minière dans la région du Cercle de feu 

L’échantillonnage (et l’épuration des données du projet de cartographie du carbone qui en découlerait) présente un potentiel énorme pour soutenir des mesures qui permettraient au Canada de respecter ses engagements en matière de changements climatiques. Mais il reste encore beaucoup à faire sur le plan politique pour exploiter ce potentiel. Suivez le lien pour en savoir plus sur nos recommandations aux gouvernements.   

Comme le sol est maintenant gelé dans le nord de l’Ontario, nous travaillons sur le plan d’échantillonnage sur le terrain pour le printemps et l’été prochains, afin de recueillir d’autres données nécessaires dans les basses terres de la baie d’Hudson et de la baie James.