Semer le changement : Des agriculteur.rice.s canadien.ne.s s’attaquent à la double crise de la biodiversité et du climat

Le goglu des prés a besoin d’aide. Cet oiseau chanteur qui s’épanouit dans les prés, les prairies et les champs a vu son habitat se détériorer et se fragmenter au fil des décennies partout au pays. Par conséquent, les endroits où l’oiseau peut nicher et trouver de la nourriture sont de plus en plus restreints. Les populations de goglus des prés ont diminué de plus de 70 % en à peine 50 ans.

Pourtant, cet oiseau pourrait être aussi commun que les salopettes de travail sur les terres agricoles du Canada.

Adult male Bobolink, a small black bird with a yellow on the back of its neck, in a field of tall grass
Un goglu des prés adulte mâle, dans la région de l’Outaouais. © Jean-Marc Emery

 

À l’exploitation bovine de Victor Drury, dans la région vallonneuse de l’Outaouais, au Québec, quelques changements simples permettent de donner un coup de pouce au goglu des prés. Après avoir été approché par ALUS Outaouais et la Fédération de l’UPA Outaouais-Laurentides il y a quelques années, Victor Drury a installé un appareil appelé « barre d’effarouchement » à l’avant de son tracteur, un dispositif qui alerte les oiseaux à la recherche de nourriture et leur donne le temps de s’envoler pendant la récolte. Cet appareil, ainsi qu’un inventaire des oiseaux champêtres dans la région de l’Outaouais, ont été financés par la Fédération canadienne de la faune.

À l’été 2022, suivant l’inventaire, M. Drury a modifié le calendrier de rotation du bétail entre les pâturages pour éviter que les zones abritant des nids de goglus des prés ne soient perturbées avant la fin du mois de juillet, ce qui donne aux oisillons une bien meilleure chance de survie.

M. Drury admet qu’il n’a pas d’affection particulière pour le goglu des prés par rapport à d’autres oiseaux. Toutefois, il ne voyait pas d’inconvénient à apporter ces changements. Il ajoute : « Ça me semblait être la bonne chose à faire. » La contribution de M. Drury peut sembler mineure devant l’ampleur des crises mondiales de la perte de biodiversité et des dérèglements climatiques, mais elle s’inscrit dans une plus grande série de mesures qui permettent aux agriculteur.rice.s d’adopter des pratiques bénéfiques autant pour eux que pour l’environnement.

Plus de 6 % de la masse terrestre du Canada, soit plus de 62 millions d’hectares, sont des terres agricoles. Ces champs et pâturages soutiennent les cultures et le bétail qui nous nourrissent tous et toutes. Ils offrent également une occasion de donner un coup de pouce au monde naturel et aux habitats.

Le fermier Victor Drury a installé un appareil appelé « barre de levée » à l’avant de son tracteur pour alerter les oiseaux à la recherche de nourriture et leur donner le temps de s’envoler, pendant la récolte. © Maria José Maezo, ALUS Outaouais

ALUS aide les agriculteur.rice.s à restaurer les habitats par une série de solutions basées sur la nature  menées par la collectivité et livrées par les agriculteur.rice.s, telles que le reboisement en lisière des champs au moyen d’arbres indigènes et la réintroduction de milieux humides. C’est pourquoi le WWF-Canada soutient actuellement des projets d’ALUS dans cinq régions de l’Ontario et du Québec, y compris en Outaouais, par l’entremise de son Programme de subvention nature et climat soutenu par Aviva Canada.

Depuis les 15 dernières années, le monde agricole collabore avec ALUS parce que l’organisme fournit aux agriculteur.rice.s les ressources nécessaires pour obtenir des résultats positifs dans les domaines de l’agriculture et de l’environnement. Ces efforts partagés créent un effet de réseau qui améliore l’habitat naturel tout en renforçant la résilience des communautés et du secteur agricole.

Les collectivités d’ALUS d’un bout à l’autre du Canada aident les propriétaires de terres agricoles à créer, améliorer et maintenir des services écosystémiques sains – qui sont des avantages provenant de la nature pour les humains – sur leur propriété par l’entremise de divers projets. Parfois, il leur suffit de planter des herbes indigènes en lisière de leur champ ou d’adapter les cycles de pâturage pour venir en aider aux espèces menacées (comme M. Drury l’a fait). Parfois, c’est plus compliqué. Dans le cadre d’un projet coordonné par ALUS Lambton qui donne de bons résultats dans le sud-ouest de l’Ontario, un propriétaire foncier a reconfiguré un réseau de drains en tuile pour créer une série de milieux humides, ce qui a permis de ralentir l’écoulement des eaux de crue – et des nutriments essentiels du sol – vers le lac Huron.

« Cela a permis la création de merveilleux milieux humides qui ont ramené une riche biodiversité, et la création d’une fonction de décantation qui empêche les nutriments de se déverser directement dans le lac, explique Bryan Gilvesy, président-directeur général d’ALUS et exploitant d’un élevage bovin à Tillsonburg, en Ontario. Ces changements ne nuisent aucunement au drainage que les agriculteur.rice.s considèrent comme absolument essentiel dans cette partie du pays. Pour moi, c’est extraordinaire. »

Male farmer stands smiling on a sunny day in a field with cows behind him and a tree line in the distance.
Le P.-D. G. d’ALUS, Bryan Gilvesy, debout dans son champ. © ALUS

Ce type d’aménagement peut mener à d’immenses bénéfices, y compris la création de meilleurs habitats pour une plus grande variété d’espèces, l’augmentation de la capacité de stockage du carbone et, dans bien des cas, l’amélioration de la résilience climatique. De nombreuses initiatives soutenues par ALUS contribuent également à protéger les champs contre les inondations.

Sans compter que ces changements en faveur de la nature peuvent également améliorer la productivité des entreprises agricoles : Paul Galpern, écologiste à l’Université de Calgary, soutient que les boisés sauvages, les milieux humides et les plantations de protection (bandes de végétation non cultivée) sur et autour des terres agricoles – ce qu’il appelle « zones désordonnées » (messy spots en anglais) – peuvent contribuer à de meilleurs rendements agricoles, en partie parce que ces espaces attirent les insectes utiles et les pollinisateurs.

M. Gilvesy applique les pratiques d’ALUS, y compris la réintroduction de la prairie à herbes hautes, au sein de sa propre exploitation agricole depuis 2006, année à laquelle il s’est inscrit en tant que troisième participant à vie au programme. Par conséquent, sa propriété bénéficie actuellement d’une biodiversité beaucoup plus riche que lorsqu’il l’a acquise en 1979. Elle abrite aujourd’hui des blaireaux en péril, les huit espèces de chauves-souris indigènes de l’Ontario et, oui, de nombreux goglus des prés.

Comme la plupart des agriculteur.rice.s, M. Gilvesy a toujours été très attaché à sa terre, mais ces changements lui ont donné une fierté renouvelée d’en être le protecteur – et il constate cette même transformation auprès de la vaste majorité des agriculteur.rice.s et grand.e.s éleveur.se.s qui collaborent avec ALUS. Au fil du temps, M. Gilvesy croit que ce sentiment créera des changements importants dans toute l’industrie : « C’est comme arroser une graine qu’on a semée. »

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