En quoi consistent les bandes de protection riveraine? Et en quoi leur restauration sur les terres privées engendre-t-elle (littéralement) des avantages en aval?

Imaginez une goutte d’eau qui tombe sur le flanc boisé d’une colline. Attirée par la gravité, elle pénètre dans un réseau d’écosystèmes interconnectés : elle s’infiltre dans le sol où elle est filtrée par les terres humides avant de s’écouler dans les ruisseaux et les rivières pour rejoindre les estuaires et les eaux côtières jusqu’à la haute mer.

Une rivière avec des bandes de protection riveraine le long de ses deux rives et une forêt en arrière-plan
La rivière Ta’talu, dans le sud-ouest de la Colombie-Britannique, et ses bandes de protection riveraine © A Rocha

Cette zone de transition dynamique entre terre et mer, appelée bassin versant, joue un rôle crucial dans la régulation de la qualité de l’eau en fournissant les nutriments nécessaires aux plantes, comme l’azote et le phosphore, tout en préservant la santé globale de l’écosystème. Les rivières, les lacs et les ruisseaux qui sillonnent ces bassins versants sont bordés de bandes de protection riveraine, qui font office de zones de transition entre les cours d’eau et la terre ferme.

À l’image d’un système de filtration naturel, ces bandes, peuplées d’arbres, d’arbustes et autres végétaux adaptés à ces conditions humides, filtrent les polluants, stabilisent les rives, freinent l’érosion, offrent des zones d’ombre et contribuent à prévenir les inondations. Elles permettent à l’eau pure de se frayer un chemin jusqu’aux écosystèmes côtiers, comme les herbiers de zostère et les marais littoraux, où vivent des mollusques, des saumons et autres espèces similaires.

Le problème : les bandes endommagées

Déforestation, agriculture et développement urbain : autant d’activités pratiquées dans les derniers siècles qui ont fragmenté et abimé les bandes de protection riveraine. Sans ces bandes, les contaminants contenus dans les engrais, les eaux usées et les eaux de ruissèlement provenant des exploitations agricoles et des villes s’écoulent en aval, portant atteinte à la vie marine et aux écosystèmes desquels dépendent les collectivités côtières.

Ces polluants transportent également des nutriments susceptibles de surcharger l’environnement, entrainant un phénomène d’« eutrophisation côtière », c’est-à-dire une production excessive d’algues. À son tour, cette prolifération d’algues empêche les rayons du soleil d’atteindre les végétaux situés sur les côtes, comme la zostère, réduisant par le fait même la présence d’oxygène dans l’eau et de carbone dans les sédiments et les systèmes racinaires.

Comparaison de deux scénarios illustrant un même cours d’eau sillonnant des terres agricoles. À gauche, une bande de protection riveraine endommagée provoque des inondations et une diminution du couvert végétal. À droite, une bande restaurée et intacte prévient les inondations et favorise la biodiversité.
Comparaison illustrée des conséquences de la détérioration d’une bande de protection riveraine et des bienfaits d’une bande intacte. La dégradation de ces bandes contribue aux inondations et à l’érosion, en plus de réduire l’offre d’habitats pour les espèces, tandis que leur restauration permet de prévenir ces problématiques. © Sophia Bos / WWF-Canada

La solution : la restauration des bandes  

Maintenant, imaginez que cette goutte d’eau ait voyagé jusqu’au bassin versant de Little Campbell avant de se déverser dans la rivière Ta’talu, aussi appelée rivière Little Campbell, au nord de la frontière canado-américaine.

Depuis son amont, la rivière Ta’talu parcourt le canton à vocation agricole de Langley, sillonne les petites collectivités côtières de South Surrey et White Rock, puis traverse la réserve de la Semiahmoo First Nation, où elle se jette dans la baie de Semiahmoo. Tout au long de ce trajet de 30 kilomètres vers l’océan, elle croise des terres agricoles et des pâturages, traverse des terrains de golf et des clubs de loisirs, s’écoule sous les viaducs d’autoroutes et arpente les quartiers résidentiels.

Mais à l’instar de plusieurs autres rivières et fleuves du Canada, les bandes de protection riveraine de la rivière Ta’talu et de ses affluents se sont dégradées. Dans certaines régions, l’alpiste roseau , une plante envahissante qui prospère dans les zones perturbées, a envahi les lieux, empêchant les plantes indigènes de s’enraciner. Les systèmes racinaires de l’alpiste roseau sont si denses qu’ils peuvent perturber la circulation de l’eau, favorisant l’érosion à certains endroits et la création de zones stagnantes ou à faible débit ailleurs, ce qui compromet la qualité de l’eau.

Ce phénomène est très préoccupant puisque, lorsqu’elle rejoint l’océan, l’eau de la rivière doit pouvoir compter sur un équilibre fragile de nutriments afin d’assurer la survie des herbiers de zostère et des espèces qui s’y abritent, comme le crabe dormeur et le saumon du Pacifique juvénile, particulièrement vulnérable.

Le défi : une propriété fragmentée

Les données provenant de la rivière Ta’talu démontrent que l’eau recueillie dans les régions où les bandes de protection riveraine sont intactes est de qualité supérieure. Cependant, la restauration des bandes abimées est un processus complexe puisque de nombreux tronçons sont situés sur des terrains privés.

En Colombie-Britannique, et au Canada en général, les rivières et les fleuves traversent des terres fédérales, provinciales, municipales, autochtones et privées, soumises à tout un éventail de règlements, de priorités et de pratiques de gouvernance. Cette fragmentation pose un réel défi pour coordonner les efforts de restauration dans les bassins versants, surtout lorsque les sections visées chevauchent différents territoires.

Installation d’un rouleau de fibre de coco destiné à étouffer l’alpiste roseau, dans le cadre des activités de préparation du site de restauration le long d’un affluent de la rivière Ta’talu. Des espèces indigènes seront ensuite plantées à travers la fibre de coco. © Jacklyn Barrs

C’est pourquoi la mobilisation des propriétaires foncier.ière.s est essentielle à la préservation de l’équilibre des bassins versants. En prenant les mesures qui s’imposent sur leur terrain, les propriétaires protègent non seulement leur investissement, mais comblent également certaines lacunes, là où les organismes publics n’ont pas accès.

La restauration des bandes de protection riveraine procure des avantages directs aux propriétaires en renforçant la résilience climatique de ces bandes. Ainsi, celles-ci peuvent contribuer à prévenir l’érosion et les inondations – des phénomènes susceptibles d’entrainer une perte de récoltes et d’endommager les infrastructures -, en plus d’emmagasiner l’eau durant les sècheresses.

Ces bienfaits se font également sentir dans les zones situées en aval : amélioration de la qualité de l’eau au-delà des limites de la propriété et contribution aux travaux de conservation dans le bassin versant. En d’autres mots, il s’agit d’une solution avantageuse tant pour les propriétaires fonciers.ière.s que pour les communautés et les espèces.

La gestion des terres privées à l’œuvre

En 2024, le.la propriétaire d’une terre agricole abritant 300 mètres de berges d’un affluent de la rivière Ta’talu s’est associé.e au WWF-Canada et à l’association A Rocha Canada pour restaurer les habitats riverains dégradés.

Ce projet, qui s’est déroulé au cours de la dernière année, a consisté à retirer l’alpiste roseau, puis à étendre de la fibre de coco dans les zones tampons. Cette fibre, qui bloque l’accès des plantes envahissantes au soleil, est assez malléable pour permettre la plantation d’arbres et d’arbustes indigènes sur la berge afin de la rendre plus stable. Jusqu’ici, les partenaires ont planté 45 arbres et 343 arbustes indigènes, dont le cornouiller panaché blanc, la ronce remarquable, le thuya géant et deux variétés d’érables. Les travaux seront repris au printemps.

À gauche on aperçoit une fleur rose-mauve à cinq pétales entourée de feuilles vertes et à droite on retrouve une image avec un fruit rouge vif ressemblant à une framboise.
Fleur (gauche) et fruit (droite) de la ronce remarquable (CC0) (CC0) Guerric Haché / iNaturalist.org

Les 400 mètres carrés de bande restaurée, qui communiquent de nouveau avec les 30 000 mètres carrés de bande intacte, contribuent à améliorer la qualité de l’eau et des habitats pour les espèces en plus d’accroitre la capacité du sol à emmagasiner le carbone et à filtrer les nutriments.

Grâce à la présence de végétation indigène saine sur les bandes de protection riveraine, cette goutte d’eau, qui parcourt la rivière Ta’talu, est maintenant mieux filtrée. Ainsi, elle fournit plus d’oxygène aux jeunes saumons avant leur départ vers la mer et apporte une eau plus saine dans la baie de Semiahmoo.

L’histoire de la rivière Ta’talu n’est peut-être, elle aussi, qu’une simple goutte dans l’océan des besoins en matière de restauration des bassins versants, mais elle met en lumière le rôle clé des propriétaires foncier.ière.s dans la protection des espèces et des communautés.