Percer le mystère du mode de vie du léopard des neiges dans l’Himalaya, au Népal
La pose du premier collier GPS sur un léopard des neiges au Népal en 2013 a marqué un tournant décisif pour la conservation de ce grand félin trop peu étudié.
Rinjan Shrestha, Ph. D. et spécialiste principal des grands félins d’Asie au WWF-Canada, a pris part à cette expédition historique (consultez son récit ici [en anglais seulement]) et à l’étude à long terme subséquente, visant à suivre les déplacements de plusieurs léopards des neiges à travers l’Himalaya. Publiés un peu plus tôt cette année, les résultats de cette recherche ont levé le voile sur la vie secrète de ce félin des plus discrets.

Je me souviens encore très clairement de ce matin frisquet du 25 novembre 2013. Mon équipe et moi nous reposions au campement lorsque, vers 5 h du matin, nous avons reçu un message de l’émetteur indiquant qu’un piège à patte venait de se déclencher. C’est en silence que nous avons gravi la section orientale de l’Himalaya, jusqu’à 4 500 mètres au-dessus du niveau de la mer.
Un léopard des neiges mâle nous y attendait. Nous l’avons baptisé Ghanjenjwenga et équipé d’un collier GPS – une première au Népal. Durant les quatre années qui ont suivi, nous avons fait de même avec trois autres félins : Omi Khangri, Lapchhemba et Yalung.
Grâce aux satellites en orbite, nous avons été en mesure de suivre à distance leurs déplacements à travers les falaises escarpées et les glaciers, des lieux peu accessibles aux humains. Ce faisant, ces léopards des neiges nous ont aidés à percer le mystère de leur monde et à comprendre comment mieux les protéger.

Publiée cette année dans une revue scientifique (en anglais seulement), cette étude révolutionnaire a mis en lumière des constats à la fois surprenants et extrêmement motivants pour les spécialistes en conservation.
Des idées de grandeur
L’une des découvertes les plus marquantes concerne la superficie dont cette espèce a besoin. Son domaine vital – soit la zone à l’intérieur de laquelle chaque léopard des neiges chasse, dort et s’accouple – est en fait de six à 97 fois plus grand que les estimations précédentes! Par exemple, un mâle a parcouru une distance de plus de 300 kilomètres carrés, tandis que deux femelles ont couvert environ 200 kilomètres carrés.
Ces données nous révèlent que les aires protégées isolées ne suffiront pas à sauver le léopard des neiges. Pour survivre, ce félin a besoin de territoires vastes, intacts et interconnectés.
Un grand voyageur
L’étude en question a également confirmé que les habitats du léopard des neiges ne se limitent pas à la frontière du Népal. En effet, les félins que nous avons équipés d’un collier au Népal ont passé près du tiers de leur temps dans des régions situées en Inde et en Chine. Dans le cas de Yalung, près de la moitié de son domaine vital chevauchait le parc national de Khangchendzonga, en Inde.
Voilà qui renforce l’idée que la conservation du léopard des neiges n’est pas l’affaire d’un seul pays. Les léopards des neiges ont peu à faire des cartes géographiques. C’est pourquoi il est essentiel que le Népal, l’Inde et la Chine travaillent main dans la main pour protéger cette espèce qui parcoure librement leurs reliefs communs.

Sur le toit du monde
Nous avons également constaté la présence d’un léopard des neiges à 5 838 mètres au-dessus du niveau de la mer, soit la plus haute altitude jamais enregistrée pour cette espèce. Ces félins démontrent toutefois une préférence pour les zones situées entre 4 000 et 5 000 mètres d’altitude, privilégiant les vallées rocheuses et les prairies alpines, tout en évitant les forêts denses et les falaises glacées.
Répercussions sur la conservation des léopards des neiges
Le léopard des neiges est reconnu comme le gardien de la . En tant que superprédateur, il contribue à préserver l’équilibre des écosystèmes vitaux. En protégeant l’habitat du léopard des neiges, nous protégeons également les fleuves et les rivières qui s’écoulent de leur habitat montagneux. À leur tour, ces « châteaux d’eau de l’Asie » sont essentiels à la vie et aux moyens de subsistance de plus de 300 millions de personnes.
Malheureusement, le léopard des neiges fait face à des défis sans précédent comme la perte d’habitats, le braconnage et les conflits avec les de troupeau.
J’espère que cette étude apportera aux spécialistes en conservation des renseignements indispensables à propos des habitats et des conditions nécessaires pour que les léopards des neiges prospèrent. Nos découvertes ont déjà permis d’orienter le prochain Plan d’action en matière de conservation du léopard des neiges du Népal, qui met l’accent sur la collaboration transfrontalière afin d’assurer la survie de l’espèce, aujourd’hui et pour les générations à venir.
