« Ours en vue » : carnets de terrain d’une expédition de recherche à la baie Creswell, au Nunavut (2e partie)

De vieux cercles de tentes, des os d’animaux blanchis par le soleil et des sentiers tapés trouvés dans toute la zone prouvent que la baie Creswell, sur la côte est de l’ile Somerset, est connue des Inuit depuis longtemps.

Devon Manik, un ami chasseur de Resolute, la deuxième communauté la plus au nord au Nunavut, m’a expliqué l’histoire de l’endroit. Le grand-père de Manik et sa famille, qui avait voyagé de Pond Inlet à la pointe nord-est de l’ile de Baffin, faisait des voyages exploratoires autour de l’ile Somerset.

Lire la première partie ici.

A small stream in between hills
Un petit ruisseau entre les collines Ile Somerset, Nunavut © Paul Glavin

La famille ne restait jamais au même endroit très longtemps, elle déménageait à chaque deux ans. Environ cinq autres familles y sont plus tard déménagées, certaines originaires de la région d’Arctic Bay, et y ont passé quelques hivers.

Le grand-père de Manik a été retiré de sa communauté à cinq ans parce qu’il avait la tuberculose, puis on l’a ensuite envoyé au pensionnat. Quand il est revenu, il a dû tout réapprendre. Il a souvent voyagé sur l’ile Somerset, avec ses frères et parfois seul, en traineau à chiens. Ils échangeaient des peaux de renard et des peaux d’ours aux postes de traite de la Compagnie de la Baie d’Hudson à Fort Ross sur Somerset, lequel a été établi en 1937, et plus tard à Taloyoak, quand Fort Ross a été abandonné en 1948.

La plus récente ébauche du Plan d’aménagement du territoire du Nunavut met en lumière une importante aire de mise bas du caribou juste au nord d’où nous avons campé. À cause de la nature de notre travail, nous n’avons pas exploré la zone, à part pour observer de loin ce qui ressemble à un couloir naturel qui s’étend au nord-ouest de la baie.

Caribou antlers on a rocky shore
Des bois de caribou sur une grève de l’ile Somerset © Paul Glavin

On ne sait pas encore avec certitude quelle population de caribou utilise l’ile Somerset. Les grands bois retrouvés semblent trop grands pour un caribou de Peary, connu pour habiter des régions de latitudes plus nordiques. Ce pourrait donc être la harde Ahiak, ou même la harde Dolphin-et-Union, puisqu’on connait peu son aire de répartition.

Je devais quitter le lendemain avec Maha; elle se rendait à Pond Inlet pour un travail avec les épaulards et je me rendais à Whale Cove pour rencontrer des surveillant.e.s d’ours polaires. (Pour en savoir plus, cliquez ici.)

Le reste de l’équipe resterait au camp pour deux semaines de plus et serait rejoint par Luke Storrie, un autre chercheur chevronné en matière de baleines. Un grand groupe de narvals est venu dans la baie et nous avons passé la soirée à observer et à documenter ces baleines nordiques pourvues d’une défense.

J’ai pris le tour de garde de nuit pour la surveillance en cas d’ours polaire, mais j’ai passé la plus grande partie du temps à chercher des baleines des yeux, à boire du café et à essayer de capturer le paysage avant mon départ. Paul Galvin m’a relevé de mon tour vers 5 h du matin et je suis allé me coucher.

Environ deux heures plus tard, j’ai entendu crier : « Ours en vue » et je me suis précipité hors de ma tente.

Le groupe s’est réuni et a regardé. L’ours était environ à 30 mètres au nord, il se tenait sur la rive avec sa face pleine de sang. Une de ses pattes tenait sa proie pendant que les muscles de son coup se tendaient pour tirer sur la viande, en s’arrêtant seulement de court moment pour lever sa tête dans notre direction.

C’était difficile de déterminer ce qu’il mangeait, mais notre première idée était un phoque du Groenland ou un phoque barbu. Rapidement, nos pensées se sont tournées vers la question de savoir ce qu’un ours polaire faisait quand il n’était plus occupé par son repas.

 Polar bear on a rocky shore
Un ours polaire sur l’ile Somerset, Nunavut © Paul Glavin

L’ours a relevé la tête, il a humé l’air, et c’est là que nous nous sommes assuré que l’ours nous avait entendu.e.s, qu’il avait vu que nous étions des humains et nous avons essayé de l’effrayer pour qu’il parte. Heureusement, l’ours a compris, il est entré lentement dans l’eau et s’est éloigné à la nage.

Nous nous sommes aventuré.e.s vers le site de son repas pour examiner les restes. Il n’y en avait pas. Il ne restait que l’odeur du phoque, que j’ai immédiatement reconnue du temps que je travaillais avec des chiens de traineau qui ont souvent du phoque au menu.

Pendant que nous regardions l’ours nager, j’étais soulagé tout en me demandant ce que le futur réservait à cet ours. Cette partie de Somerset est à la convergence de trois des 13 sous-populations canadiennes d’ours polaires. C’est l’extrême sud de l’aire de répartition de la population du détroit de Lancaster, et la pointe nord de celle du chenal M’Clintock et du golfe de Boothia.

Le bimoteur de la compagnie Kenn Borek est arrivé deux heures plus tard. À demi endormi, encore fébrile de la présence de l’ours et du café de camp, j’ai regardé par ma fenêtre quand nous approchions de la rivière Creswell. C’est une zone hors de portée de nos zodiacs mais dont on croit que ce serait un endroit probable de rassemblement de baleines puisque la rivière draine l’ample bassin versant dans un haut fond riche en sédiments.

J’y ai vu mon premier béluga!

Puis un deuxième, et un troisième. C’était un groupe avec leurs petits. C’est une aire de mise bas pour les bélugas.

Notre compréhension collective de l’impact de la pollution sous-marine par le bruit sur les mouvements migratoires et les comportements des mammifères marins arctiques est encore limitée. Mais à mesure que la crise climatique fait fondre la banquise et augmenter la menace posée par les facteurs de stress industriels – comme le bruit sous-marin issu des navires, qui a plus que doublé entre 2013 et 2019 dans certaines parties de l’océan Arctique, et décuplé dans certaines parties comme dans la baie de Baffin – il est essentiel que nous comblions ces lacunes dans nos connaissances afin de promouvoir des politiques et lois de conservation de l’Arctique les plus efficaces qui soient.

Le Fonds pour la conservation des espèces de l’Arctique (FCEA), qui soutient des mesures d’intendance et des projets de recherche de grande qualité, encourage la collaboration entre les scientifiques universitaires et les peuples autochtones qui vivent en Arctique.

Le FCEA est engagé depuis sept ans avec beaucoup de succès dans des projets comme cette recherche à la baie Creswell – et les dons de sympathisant.e.s comme vous rendent ces recherches possibles.