Au-delà des mesures : pourquoi — et comment — les communautés du Nouveau-Brunswick calculent-elles le carbone?
C’était un matin brumeux à Meenan’s Cove, et nous étions sur la galerie d’un chalet donnant sur la rivière Kennebecasis. Les prévisions annonçaient que le brouillard devait bientôt se lever et que le vent se mettrait de la partie en après-midi, nous devions donc commencer rapidement le travail. Les drones, après tout, sont extrêmement sensibles à la température et c’est plus facile d’apprendre quand les conditions sont calmes.
Notre petite équipe du WWF-Canada était rassemblée à Quispamsis, à proximité de Saint John au Nouveau-Brunswick, pour rencontrer les participant.e.s enthousiastes à notre formation sur la mesure du carbone – l’une des nombreuses prévues à travers le pays au cours des prochaines années pour déployer notre Programme nature et carbone.

L’objectif? Doter les collectivités des outils et des ressources nécessaires afin de mesurer et de surveiller le carbone dans la végétation, les sols et les milieux humides de leurs terres et territoires. À l’école, nous apprenons que le carbone est stocké dans la nature grâce à la photosynthèse — la même qui produit l’oxygène — mais savoir qu’il y en a n’équivaut pas à en connaitre la quantité. C’est là qu’entre en jeu la mesure.
Nous ne nous savons pas non plus ce qui arrive quand nous altérons, dégradons, perturbons ou surdéveloppons ces régions — en drainant une tourbière pour l’agriculture ou une mine, ou en autorisant une forêt commerciale en monoculture, par exemple, ni ce qui arrive selon le moment et la façon choisis pour restaurer ces écosystèmes.

Nous l’apprenons grâce à la partie surveillance du travail, qui utilise les mesures de base initiales pour faire le suivi et voir si le carbone est efficacement emmagasiné et séquestré dans les plantes ou les sols, ou s’il s’échappe dans l’atmosphère et alimente davantage la crise climatique.
Mais pourquoi mesurer le carbone?
Pour que les communautés puissent prendre des décisions éclairées sur l’utilisation des terres dans cette province qui contient environ un milliard de tonnes de carbone uniquement dans ses zones forestières, elles doivent connaitre ces données. Cette formation leur montre comment y arriver.
La mesure du carbone peut aider les communautés à prendre des décisions qui soutiennent la nature — et les espèces — sur leur territoire ou leurs terres. Et cela peut également soutenir l’intendance et l’autodétermination des peuples autochtones en favorisant un meilleur accès à certains avantages économiques liés à la gestion d’un territoire contribuant à l’atténuation des dérèglements climatiques, tout en protégeant leurs droits de propriété sur les données relatives au carbone.
Peu importe l’enjeu précis, nous savons qu’en apprendre davantage sur le carbone emmagasiné dans les écosystèmes nous aidera à planifier un avenir où la nature peut continuer à bénéficier aux espèces et aux humains.

Passer de la vue du ciel à l’examen des sols
Avec une telle variété d’utilisations des données de la mesure du carbone, ce n’est pas une surprise si notre groupe de formation était formé de participant.e.s issu.e.s de toutes sortes d’organisations. Le groupe incluait des individus et des représentant.e.s d’ONG locales et autochtones, ainsi que des membres de Korotu Technology, une équipe lauréate du Défi techno nature x carbone.
Le premier point à l’ordre du jour était d’ailleurs une session donnée par Korotu sur le fonctionnement, la sécurité et la planification des vols de drones. Avec une manette de contrôle, piloter un drone est un peu comme jouer à un jeu vidéo : il faut manier la technologie de façon à le faire voler sécuritairement, avec une faible marge d’erreur. C’est important pour obtenir une photo adéquate de la zone que vous étudiez, que ce soit dans les vallées profondes du Nouveau-Brunswick, ses crêtes inclinées ou n’importe où entre les deux.
La cartographie par drone — une technologie relativement nouvelle dans le contexte de la mesure du carbone — peut nous en dire beaucoup sur une région, vue du ciel. Et avec la technologie qui évolue rapidement, c’est devenu une façon de plus en plus commune et abordable de faire le relevé précis d’une zone à l’étude. La technologie de Korotu amène la cartographie encore plus loin en transformant des images aériennes en une carte 3D de la forêt et en calculant automatiquement le stock de carbone contenu dans les arbres.

Dans cette région du Nouveau-Brunswick, les pentes les plus élevées sont peuplées d’érables argentés et de frênes blancs, tandis que les pentes les plus basses abritent davantage de conifères et d’épinettes rouges. Les drones cartographient cette forêt diversifiée en assemblant des photos prises sous plusieurs angles. La technologie de Korotu peut ensuite transformer ces photos en 3D et calculer automatiquement le carbone stocké dans les arbres.
Sur le terrain
Mais les drones ne peuvent pas tout capter. C’est pourquoi nous devons aussi vérifier les données obtenues en prenant nous-mêmes des mesures au sol. C’est un processus très terre-à-terre qui peut devenir salissant quand on se met à creuser.
Donc, une fois notre cartographie par drone complétée, nous saisissons les truelles et les carottiers, et nous passons du ciel au terrain pour vérifier les données et obtenir des échantillons de sol. Les méthodes pour y parvenir incluent la mesure du diamètre et de la hauteur des arbres, le creusage de fosses dans le sol et l’extraction de carottes de sol dans des parcelles de 400 mètres carrés — avant de rapporter les nombres obtenus pour permettre la mise à l’échelle des calculs depuis les arbres et le sol, à la parcelle et à la forêt.

Les participant.e.s ont ainsi appris à vérifier ces estimations aériennes à l’aide de mesures sur le terrain. L’une de celles-ci, le carottage des sols, nécessite d’enfoncer le carottier, un outil cylindrique, dans le sol pour prélever une section transversale de terre en forme de tube qui montre souvent des sections distinctes. Ces sections — marquées par des changements dans la couleur et la texture — ont différents taux de carbone emmagasiné. Pour en être tout à fait certain.e.s, nous séparons chacune de ces sections dans leur propre sac refermable, les plaçons dans une glacière, puis nous les envoyons à un laboratoire pour l’analyse de leur teneur en carbone. Les participant.e.s à la formation ont vite maitrisé la technique, extrait des échantillons avec efficience, et appris la façon et l’endroit où sectionner les différentes sections pour leur analyse.

Et à plus grande échelle…
C’est remarquable tout ce qu’on peut apprendre de la mesure de la teneur en carbone des arbres et des sols d’une zone forestière à l’étude. En fait, les deux ensembles de données combinés nous donnent environ 98 % de tout le stock de carbone d’un écosystème entier dans des forêts comme celle que nous avons échantillonnée durant la formation.
Dans le cadre de la formation, notre travail était restreint à une seule parcelle, et nous avons tout fait sauf emballer le sol pour l’envoyer se faire analyser en laboratoire. Mais en pratique, un protocole complet de mesure du carbone pour une seule parcelle ne prend que quelques heures et quelques calculs avant de nous donner une vue d’ensemble. Un seul érable argenté mature, par exemple, peut emmagasiner des centaines de kilogrammes de carbone dans son tronc, ses feuilles, son écorce et ses branches, et plus encore dans son système racinaire. Si nous passons de l’échelle d’un arbre à celle d’une parcelle, d’une forêt, puis de toute une province — et en tenant compte de la teneur en carbone du sol —, c’est plus d’un milliard de tonnes de carbone qui sont emmagasinées dans les zones forestières du Nouveau-Brunswick uniquement.
…tout en restant local
Une fois que les participant.e.s apprennent à collecter ces renseignements, ceux-ci leur appartiennent. La souveraineté des données — l’idée que les connaissances générées sur un lieu doivent être détenues et contrôlées par ceux et celles qui revendiquent et gèrent ce lieu — est au cœur de notre Programme nature et carbone. C’est la raison pour laquelle nous avons aussi publié nos ressources de formation (bientôt toutes disponibles en français), pour que les membres des communautés puissent parfaire leurs habiletés tout en enseignant aux autres.
Et donc, quelle est la prochaine étape pour l’équipe de mesure du carbone? Nous déployons les sessions de formation à travers le pays, avec des sessions chez les Premières Nations de Fort Severn et Chippewas of the Thames en Ontario qui ont déjà eu lieu, et plusieurs autres planifiées pour la saison de terrain qui s’en vient.

Pour plus d’information sur la mesure du carbone, visitez la page du site du WWF-Canada sur la mesure du carbone, ou consultez notre carte du carbone.
La formation pratique et autres matériels de la communauté de mesure du carbone sont soutenus en partie par Bell et la Fondation RBC.