Au cœur des forêts primaires

Couvrant un tiers du territoire canadien et abritant des dizaines de milliers d’espèces végétales, animales et fongiques, les forêts primaires purifient l’air et l’eau, fournissent des emplois, de la nourriture et du combustible, en plus d’aider à stabiliser le climat mondial en séquestrant le carbone. Or, les activités humaines (exploitation forestière, pétrolière, gazière et minière, agriculture, routes, etc.) et les dérèglements climatiques (augmentation des sècheresses et des incendies, pullulation de ravageurs, etc.) nuisent à leur capacité de faire ce travail.     

Même si les arbres peuvent repousser, les forêts touchées par ces activités risquent de ne jamais retrouver leur état d’origine. Cela est particulièrement vrai pour les forêts primaires; et si elles comptent parmi les forêts les plus importantes au monde sur le plan écologique, elles continuent d’être grugées par les activités humaines. Pour en savoir plus sur les forêts primaires, notamment ce qui les distingue, où elles sont situées et lesquelles devraient être protégées, nous avons discuté avec Karen Saunders, vice-présidente, Espèces et industries, au WWF-Canada.

Estuaire de Khutze, au cœur de la forêt pluviale du Grand Ours, Colombie-Britannique © Andrew S. Wright / WWF-Canada

Tout d’abord, qu’entend-on par « forêt primaire »? 

Les définitions varient, mais, grosso modo, les forêts primaires sont des forêts qui n’ont pas été affectées de façon majeure par les activités humaines. Elles sont naturellement générées (c.-à-d. qu’elles n’ont pas été plantées par les humains) et sont composées d’espèces indigènes. Les forêts qui se sont régénérées après une importante perturbation d’origine humaine – comme l’exploitation forestière qui peut perturber la structure et les espèces d’une forêt – ne sont pas considérées comme primaires.

Évidemment, il s’agit là d’une définition simpliste.  

Quel est le problème avec une définition simpliste? 

Sans une définition détaillée, il est difficile de répertorier les forêts primaires et de les placer sur une carte, ce dont nous avons besoin pour mettre en œuvre des politiques, comme des limites d’exploitation forestière et la création d’aires protégées. Cette définition ne tient pas compte non plus des nuances, comme l’utilisation autochtone (alimentation, médecine, produits forestiers, utilisations culturelles) et l’intendance, qui ne devraient pas empêcher une forêt d’être classée comme forêt primaire si les processus naturels n’ont pas été perturbés.   

Que fait le WWF-Canada à ce sujet?  

Nous avons passé en revue la littérature et les critères existants afin d’amorcer un dialogue sur les différentes définitions pour arriver à une définition exhaustive et largement acceptée.

Vue vers la canopée des arbres anciens de la forêt tempérée d’origine sur l’ile Lyell, site du patrimoine haïda Gwaii Haanas, Colombie-Britannique, Canada.
Vue vers la canopée des arbres anciens à Haida Gwaii, Colombie-Britannique © Andrew S. Wright / WWF-Canada-

Nous travaillons également avec le laboratoire Global Land Analysis and Discovery (GLAD) de l’Université du Maryland pour créer une ébauche de carte des forêts canadiennes à longue durée de vie (qu’elles soient assez vieilles ou non pour être classées comme « anciennes ») qui n’ont jamais subi de destruction totale et de régénération au cours de l’histoire récente.

Nous sollicitons aussi l’avis des organisations autochtones, des chercheur.se.s, des entreprises partenaires, des organismes gouvernementaux et des ONG environnementales sur la méthode de cartographie, sa portée et ses limites, ainsi que sur son utilisation potentielle. Notre objectif est de créer un outil qui appuie la prise de décision en matière de conservation des forêts, notamment pour l’approvisionnement durable en produits forestiers, la planification de l’utilisation des terres et la gestion forestière menée par les Autochtones.

La méthode de cartographie du laboratoire GLAD a déjà été utilisée pour les forêts tropicales primaires, mais jamais pour des forêts tempérées ni boréales. Il s’agit donc d’un point de départ vers la cartographie éventuelle des forêts tempérées et boréales primaires du monde entier.

Quelles sont les prochaines étapes?  

Ce travail nous rapprochera d’une définition plus claire des forêts primaires du Canada et d’une méthodologie de cartographie structurée pour les forêts tempérées et boréales primaires. Ensuite, nous utiliserons les données pour soutenir la conservation de forêts primaires ciblées en dehors des aires protégées existantes et soutenir les plantes et les animaux qui s’y trouvent. Le Canada s’est engagé à protéger 30 % de ses terres d’ici 2030 afin de freiner et d’inverser le déclin de la nature. La conservation des forêts primaires nous aidera à atteindre cet objectif de la façon la plus efficace possible.