Doubler et troubler : le danger du plan d’expansion de Baffinland
À la pointe nord de l’ile de Baffin, au Nunavut, entre les communautés isolées de Pond Inlet, Clyde River et Igloolik, se trouve la mine à ciel ouvert Mary River.
Il s’agit déjà du plus grand développement industriel de l’Arctique canadien, mais la compagnie Baffinland Iron Mines Corp. projette de doubler sa production actuelle à 12 millions de tonnes par année.
Puisque le minerai de fer est transporté par la route à Milne Inlet, puis par bateau à travers l’aire de conservation marine Tallurutiup Imanga, Baffinland a déposé une demande au Nunavut Impact Review Board (NIRB ou Conseil de révision d’impact du Nunavut) pour un permis de construction de cette deuxième phase d’expansion qui comprend un chemin de fer de 110 kilomètres et un autre quai.
Appelé le « Serengeti de l’Arctique » par l’association inuite Qikiqtani, Tallurutiup Imanga abrite 75 % des narvals du monde, 20 % de la population canadienne de bélugas, la plus grande sous-population d’ours polaires au pays et de considérables colonies d’oiseaux de mer.
Les audiences publiques du NIRB, auxquelles le WWF-Canada a participé depuis 2019, se sont terminées le mois dernier et une décision est attendue en mai.
« Les animaux dont nous dépendons et que nous utilisons pour nous nourrir, comme les phoques, les poissons, les ours polaires et les caribous, les lièvres, les lagopèdes ainsi que les oiseaux qui migrent ici en été, nous voulons qu’ils soient tous en bonne santé », a déclaré Jaykolasie Killiktee, ancien maire de Pond Inlet, dans une vidéo que nous avons aidé à produire à partir de témoignages de membres de la communauté (en anglais seulement).
En plus d’amplifier les voix locales, nous avons aussi exprimé nos propres préoccupations.
« D’abord, il n’y a jamais eu de chemin de fer au Nunavut et les impacts potentiels sur le caribou toundrique – sur lequel les Nunavois.es comptent pour leur sécurité alimentaire et leur continuité culturelle – ne sont pas connus », explique Paul Okalik, spécialiste principal de l’Arctique au WWF-Canada.
« Le tracé proposé traverse l’habitat d’une harde de caribous dont on estime que la population a décliné de 99 %, c’est donc un risque inacceptable. »
Ensuite, le WWF-Canada soutient également la position selon laquelle les navires de minerai de fer de Baffinland – dont le nombre proposé passerait de 14 à 35 par semaine – doivent cesser d’utiliser du mazout lourd, carburant qui contribue à la fonte de la neige et de la glace à cause des émissions de carbone noir. Rendre obligatoire un changement vers des combustibles distillés réduirait ces émissions de 80 %.
Nous demandons aussi la mise en place de mesures d’atténuation pour empêcher que se répandent les espèces envahissantes, et limiter le bruit sous-marin et d’autres impacts de la navigation, comme le déversement.
Notre récente Évaluation des déversements issus des navires a quantifié les rejets des bateaux déversés dans les aires marines protégées du pays. Il a été constaté que les navires passant par Tallurutiup Imanga, dont plusieurs sont des vraquiers desservant la mine Mary River, génèrent annuellement une quantité estimée à 9,3 millions de litres d’eaux grises, 1,3 million de litres d’eaux usées, 246 millions de litres d’eaux de cale et 40,9 millions de litres d’eaux de lavage des épurateurs.
Ces estimations sont basées sur les données du trafic maritime de 2019 et ne prennent pas en compte l’augmentation proposée de 150 % qui ferait partie de l’expansion de la Phase II.
La société Baffinland s’était auparavant engagée, en 2020, à ne pas rejeter d’eaux usées, d’eaux grises ou d’utiliser des épurateurs dans la zone marine d’étude régionale, mais cet engagement n’a pas été renouvelé en 2021.
Bien que Baffinland ait suggéré que cet engagement pourrait être renouvelé si la Phase II était approuvée, il devrait être souligné que la zone d’étude régionale ne s’étend que jusqu’à 12 miles nautiques de la côte et qu’elle n’inclut qu’une portion réduite du détroit de Lancaster.
Un suivi serait nécessaire pour déterminer les impacts de l’expansion de la mine sur les espèces locales comme le narval. Ceci requerrait l’engagement des communautés, une utilisation appropriée de l’Inuit Qaujimajatuqangit (savoir traditionnel inuit) et l’accord entier et la coordination avec les communautés affectées.
Les Inuit.e.s ont déjà observé des baisses marquées des populations de narvals et d’autres espèces, tant dans la région de la mine que dans tout le Nunavut. Sans mesures pour renverser ces tendances, une hausse de la navigation ne devrait même pas être envisagée.