Surveiller les ours polaires à Whale Cove, Nunavut

Cet article a été initialement publié en anglais dans The Circle

À l’automne 2019, le WWF a répondu à la requête de l’organisation Issatik Hunters and Trappers de financer un programme local de surveillance des ours polaires à Whale Cove, Nunavut, sur la rive ouest de la baie d’Hudson, au Canada. Durant deux mois, à chaque été et automne, deux surveillant.e.s prennent leur quart de travail à tour de rôle pour surveiller les ours qui s’approchent trop près des communautés. Le but est d’éloigner les ours polaires avant qu’ils n’entrent dans les communautés et d’éviter d’avoir à éliminer ceux qui menacent les résident.e.s.

James Enuapik s’est joint au programme en 2020. Originaire de Coral Harbour, sur l’ile nunavoise de Southampton, il a déménagé à Whale Cove il y a plus de 35 ans, à l’époque où le hameau de 455 habitant.e.s n’avait qu’un quart de sa population actuelle. Il a parlé à The Circle de son expérience au sein du programme et des changements qu’il a vus dans la population d’ours polaires de la région.

Two community members from Whale Cove and WWF-Canada's lead Arctic specialist discussing the polar bear patrol program.
Victoria Kidlapik (Gestionnaire, Issatik Hunters and Trappers Organization), Simon Enuapik (Directeur, Issatik Hunters and Trappers Organization) et Paul Okalik (Spécialiste principal de l’Arctique, WWF-Canada) en réunion à Whale Cove pour discuter du programme de surveillance des ours polaires. © Brandon Laforest/WWF-Canada

Racontez-nous quelques rencontres mémorables que vous avez vécues comme patrouilleur.

Je vis sur le rivage, dans le quartier où nous faisons fondre le gras de baleine. Une fois, il y avait des enfants qui jouaient près de cet endroit et il.elle.s ne savaient pas qu’il y avait un ours polaire. J’ai eu la chance qu’un aîné qui habite tout près passe par là. Il est venu chez moi me dire qu’il y avait un ours. Par ma fenêtre, je pouvais voir les enfants jouer sur la colline, et il.elle.s ne voyaient pas l’ours. Ça m’a fait réagir et j’ai presque tiré sur l’ours par réflexe. Toutefois, sachant que je suis le surveillant d’ours polaire, je devais plutôt dire aux membres de la communauté de ne pas le tirer et que j’allais essayer de l’éloigner avec mon arme, ce que j’ai fait. Heureusement, l’ours s’est éloigné de la communauté à la nage. Personne n’a été blessé et l’ours non plus.

James Enuapik, surveillant d’ours polaires à Whale Cove, en 2020 © James Enuapik

Quels changements avez-vous vus chez les ours polaires au cours de votre vie?

Au cours des années, j’ai vu un grand changement dans la taille des ours. Quand j’étais plus jeune, au début de la saison, tou.te.s les chasseur.se.s revenaient avec des ours de 10, 12 ou 13 pieds. Maintenant, les ours attrapés ne mesurent que 6 à 8 pieds. Je suis pas mal certain que c’est à cause des dérèglements climatiques, non? Parce que toute la saison, leur nourriture est sur la banquise et la banquise se désorganise beaucoup plus vite qu’avant. La nourriture principale des ours est le phoque. Mais les phoques sont toujours sur la banquise, et avec le retrait de la banquise, les ours ont tendance à hiberner ou à aller sur la terre, où ils mangent beaucoup moins de protéines.

Comment les interactions entre les humains et les ours ont-elles évolué au cours des années?

Quand j’étais jeune, les ours polaires craignaient d’entrer en contact avec les humains. Quand un ours entrait dans une communauté, les aîné.e.s disaient que c’était parce qu’il voulait être mangé. De nos jours, nos façons de faire ont changé. Nous voulons maintenant éviter de tuer l’ours. Nous essayons d’amener l’ours loin de la communauté pour qu’il ne blesse personne et ne soit pas blessé. Mais nous avons plus d’interactions avec les ours parce qu’ils ont besoin de manger tout ce qu’ils peuvent – et le dépotoir contient de la nourriture en décomposition et l’odeur les attire. Je suis sûr à 100 % que ces ours polaires ont faim et qu’ils doivent aller vers les communautés pour essayer de se nourrir, ce qui met en danger les communautés autant que les ours.

Étant donné les changements que vous constatez, comment envisagez-vous l’avenir des ours polaires chez vous?

Je les vois décliner en nombre. Je les vois décliner en grandeur. Et à cause du réchauffement mondial, je suis presque certain que cela affectera négativement leur capacité à chasser.

Nous allons probablement voir un déclin de leur nombre dans tout le cercle arctique à cause de la banquise qui se retire plus rapidement et à cause de l’activité humaine. Ça signifie qu’il y aura plus de tirs de défense en cas d’attaque d’ours, lorsque les ours prendront les humains pour de la nourriture. Nous, les humains, aurons à nous défendre avec des fusils. Et tout ça, ce n’est pas une bonne chose.

Des enfants se promènent à Whale Cove.
Des enfants se promènent à Whale Cove. © Brandon Laforest/WWF-Canada

Que croyez-vous que nous puissions accomplir à long terme, en tant que groupe?

Avant, nous ne voyions jamais d’ours polaire pendant l’été, alors qu’aujourd’hui, il arrive presque chaque semaine qu’un ours polaire se promène dans la communauté et soit inutilement tué pour des raisons de sécurité. Je suis presque certain que s’il y avait plus de programmes comme celui-ci, avec plus de surveillant.e.s et plus d’éducation dans la communauté à propos des ours polaires et de leurs routes migratoires, la communauté en profiterait, et les ours polaires aussi, en ayant la chance de se reproduire l’année suivante.

Ce programme est très bénéfique pour les générations futures, surtout si l’on tient compte de l’avis de la communauté et de celui des surveillant.e.s d’ours.