Recherche communautaire : minimiser les répercussions de la navigation dans l’Arctique canadien

Depuis 1990, le transport maritime a presque triplé dans l’Arctique canadien. La présence de ces navires ne perturbe pas seulement les espèces marines, mais aussi les communautés inuites locales qui chassent ces espèces.

 Une femme inuite se prend en photo entourée de sa famille sur un petit bateau
Natasha Simonee et sa famille. © Natasha Simonee

Lancé en 2015, le Projet de recherche sur les corridors arctiques visait initialement à réduire l’incidence de l’augmentation du trafic maritime sur les activités traditionnelles de chasse et de pêche dans la région.

Au cours de ce projet — qui est toujours d’actualité —, les chercheurs ont travaillé en collaboration avec les populations nordiques locales pour identifier les zones marines d’importance dans le but d’établir des couloirs de navigation à faible incidence.

Natasha Simonee habite à Pond Inlet, au Nunavut. Elle s’est impliquée dans la première phase du projet en tant que chercheuse communautaire. Le Programme arctique mondial du WWF a eu la chance de s’entretenir avec elle sur ce qui l’a poussé à s’engager dans ce projet et ce qu’elle espère voir se concrétiser dans le secteur du transport maritime régional.  

Comment décririez-vous  le Projet de recherche sur les corridors arctiques?

Ce projet est né de la rencontre de quelques personnes qui partageaient le même genre d’idées. Puis, les choses se sont enchainées, et c’est devenu le beau et grand projet qu’on connait. Je pense que ce projet était non seulement nécessaire, mais aussi révélateur et innovant. Je trouve également que l’équipe a fait un excellent travail afin de s’assurer de couvrir la région nordique et de prendre en compte les points de vue des différentes communautés.

Pourquoi un tel projet était-il nécessaire?

Dans ma communauté, on voit passer beaucoup de navires chaque saison. Et le trafic augmente chaque année. Mais ça n’a pas toujours été comme ça. Par exemple, quand j’étais enfant, chaque fois qu’un navire de croisière arrivait, c’était tout un évènement. Maintenant, quand on en voit un, c’est presque comme si on soupirait en se disant : « Encore un bateau. Je me demande combien de temps il va rester cette fois. »

Ce n’est pas qu’on ne veut pas qu’ils viennent ici. Ni qu’on ne reconnait pas leur potentiel économique. Mais avant, on pouvait compter sur les doigts de la main le nombre de navires qui passaient chaque saison, alors que maintenant, on parle d’une trentaine, dont des navires de charge, des navires de croisière et des bateaux de plaisance. Et c’est sans compter les 70 navires et plus qui transportent du minerai de fer. La société minière expédie son minerai de fer à partir de nos eaux, et ce, durant toute la saison des eaux libres. Sans oublier les pétroliers qui viennent livrer notre approvisionnement en carburant pour l’année.

Quelles sont les répercussions de l’augmentation de la circulation maritime pour votre communauté?

© Martha de Jong-Lantink / Flickr

De mon point de vue, c’est assez stressant, car ça perturbe nos activités. Pond Inlet est une collectivité inuite qui pratique la chasse comme moyen de subsistance. Les gens naviguent jusqu’à leur cabine et essaient de continuer leur vie normalement, tout en devant partager les eaux avec ces immenses navires.

Certaines personnes chassent à bord d’embarcations de 14 ou 24 pieds. Elles doivent donc naviguer à travers les vagues générées par ces navires en évitant de croiser les autres embarcations.

Les perturbations concernent aussi les animaux. Justement, cette année, les observations de narvals ont été très peu nombreuses pendant la débâcle (phénomène de rupture et de détachement massif des glaces emportées par le courant) et la migration. Il s’agit généralement d’une période attendue dans notre collectivité : des tonnes de bateaux se massent sur les eaux et tout le monde chasse et travaille ensemble. Mais cette année, l’engouement n’était pas au rendez-vous, car il y avait très peu de narvals. C’est comme s’ils avaient évité notre région. D’un autre côté, il se passe tellement de choses en même temps qu’on ne peut pas pointer une seule cause du doigt.

En quoi ce projet a-t-il contribué à améliorer la situation?

Les projets comme celui des corridors arctiques sont nécessaires pour sensibiliser le public à la réalité quotidienne des collectivités nordiques, mais aussi à celle de l’augmentation du trafic maritime dans l’Arctique et au défi que représente la coexistence de ces deux réalités. La navigation dans l’Arctique n’est pas contrôlée. On compte sur les navires pour suivre les itinéraires suggérés et appliquer certaines recommandations. Leur route longe des campements historiques, dont plusieurs ont une signification particulière pour les communautés et la population inuites.

Une femme inuite vêtue d’un haut gris porte sur son dos un bébé coiffé d’un bonnet bleu. À ses côtés, une femme originaire d’Ottawa dans un manteau orange.
La responsable du projet Jackie Dawson (à droite) pose en compagnie de Natasha Simonee (à gauche) à Pond Inlet, au Nunavut. Leur équipe de recherche a reçu le Prix du Gouverneur général pour l’innovation en 2021. © Jackie Dawson

À un certain moment pendant le projet, nous avons rencontré des détenteur.trice.s du savoir de la communauté, dont des Aîné.e.s et des chasseur.euse.s. Ensemble, nous avons échangé sur les zones d’importance, comme les campements, les sites historiques et les aires à forte circulation.

En se basant sur les zones qu’elles jugeaient importantes, ces personnes ont formulé des recommandations quant à la vitesse des navires, leurs itinéraires et les zones qui devraient leur être interdites. Nous avons colligé toutes ces recommandations en espérant que les sociétés de transport en tiennent compte. Maintenant, tout ce qu’il nous à faire, c’est d’espérer que ceux et celles qui navigue dans l’Arctique en prendront connaissance.

Que souhaitez-vous pour l’avenir?

Je ne sais pas. J’y ai beaucoup réfléchi. Parfois, je me dis que, dans un monde idéal, il n’y aurait plus aucun bateau. Mais sans les bateaux, je ne recevrais pas au cours de l’été les provisions et le carburant dont j’ai besoin, car ça fait aussi partie de ce commerce. Il faut faire attention de ne pas éliminer des services essentiels.

C’est difficile, car il faut trouver le juste milieu entre les activités de transport maritime et notre mode de vie traditionnel. Parfois, je réfléchis à la façon de garantir la coexistence du transport maritime et du mode de vie des Inuit sans générer de conséquences négatives. Pour l’instant, je ne pense pas qu’on ait trouvé ce juste milieu.

Une chose qu’on constate, c’est que la société minière Baffinland doit respecter des limites de vitesse très strictes. Mais c’est le seul secteur qui soit règlementé. On ne peut pas nécessairement le faire avec tous les autres secteurs. Ce que j’essaie de dire, c’est que je pense que toutes les sociétés de transport qui s’aventurent dans le Nord devraient suivre les recommandations de ce projet. Si elles le faisaient, on disposerait de zones interdites et de limites de vitesse efficaces dans certaines zones précises. Mais ce n’est pas à nous de faire les lois.

 

Parution initiale dans The Circle: Navigating a Changing Arctic (en anglais seulement).