Effet domino : les quatre principales menaces pour les écosystèmes côtiers du Canada
D’une beauté incomparable, le littoral du Canada n’offre pas que des scènes pittoresques. Il joue également un rôle de protection en filtrant l’eau, en emmagasinant le carbone, en atténuant l’incidence des ondes de tempête et en favorisant la biodiversité marine et les collectivités locales. Pourtant, le Canada ne fait pas ce qu’il faut pour le protéger.
Des estuaires aux marais salés, en passant par les vasières, les herbiers marins, les plages de sable ou de gravier et les zones de marées rocheuses, les écosystèmes côtiers (en anglais seulement) sont menacés. Mais en quoi consistent ces menaces? Et que peut-on faire pour y remédier?

Dérèglements climatiques
Les régions côtières sont particulièrement vulnérables aux dérèglements climatiques, qu’il s’agisse des températures extrêmes, comme le dôme de chaleur de 2021 — tristement célèbre pour avoir « cuit » environ un milliard de créatures marines dans l’Ouest — ou de l’augmentation de la fréquence des ondes de tempête et des inondations sur la côte est. L’élévation du niveau de la mer vient elle aussi avec des conséquences : modification des courants de marée dans les milieux humides et augmentation du risque d’inondation. Les conséquences de ces dérèglements sont souvent plus graves du fait qu’ils se produisent dans des régions déjà fortement déstabilisées par l’activité humaine.
Structures de protection
L’accroissement de la population côtière du Canada — déjà très importante — a entrainé la transformation de plusieurs rivages et régions côtières. Le développement urbain et agricole ayant asséché les milieux humides côtiers, des structures de protection (digues, , murs de soutènement) ont été érigées pour protéger les infrastructures riveraines de l’élévation du niveau de la mer et des dommages causés par les vagues. Bien que ces structures puissent être perçues comme des solutions simples aux inondations côtières, elles peuvent entrainer des conséquences désastreuses pour les écosystèmes environnants.
En effet, les écosystèmes côtiers, comme les milieux humides et les plages, sont des milieux fondamentalement dynamiques qui évoluent à mesure que les sédiments sont déplacés par les vagues et les marées. Les structures de protection peuvent nuire à ces fluctuations naturelles, voire aggraver l’érosion côtière en éloignant les sédiments du rivage. Ce processus occasionne également d’autres problèmes puisque les sédiments fins contenus dans les eaux littorales empêchent la lumière d’atteindre les herbiers marins, retardant ainsi la croissance des végétaux. Au fil du temps, l’élévation du niveau de la mer pousse les écosystèmes sains vers le continent, mais la présence de barrières artificielles engendre un phénomène appelé compression côtière — un lent processus par lequel les écosystèmes côtiers se trouvent pris en étau entre les structures anthropiques d’un côté et la montée des eaux de l’autre. Résultat : fragmentation des habitats et perte de la biodiversité qu’ils abritent.
L’infographie ci-dessus illustre trois scénarios. Le troisième scénario montre comment une structure de protection de type perré empêche la migration naturelle de l’écosystème du littoral vers les terres en réponse à la montée du niveau de la mer et « comprime » les espèces présentes, en plus de réduire la quantité de carbone emmagasiné.
Surcharge de nutriments
Les marais salés et les herbiers marins agissent comme une barrière qui empêche l’excès de nutriments provenant des engrais agricoles, les matières polluantes issues du ruissèlement urbain et les sédiments contenus dans les rivières et les cours d’eau de pénétrer dans les écosystèmes marins. Mais la surcharge en nutriments de ces écosystèmes du littoral favorise la prolifération d’algues qui bloquent la lumière du soleil, ce qui nuit à la croissance des herbiers et à leur capacité à emmagasiner le carbone. Une concentration élevée de ces nutriments entraine également la croissance trop rapide des plantes de marais dont les racines et les rhizomes reçoivent moins d’énergie, ce qui affaiblit les « plateformes » marécageuses, accélère l’érosion et libère le carbone bleu contenu dans l’écosystème.
Le terme carbone bleu désigne le carbone naturellement stocké dans les plantes, les algues et les sédiments des écosystèmes côtiers. En savoir plus.
Espèces envahissantes
La menace des espèces envahissantes ne concerne pas seulement les espèces indigènes, mais aussi les plantes marines parmi les plus importantes du littoral canadien. Par exemple, le crabe vert européen, que l’on trouve sur les côtes est et ouest, creuse le sol en déracinant littéralement les herbiers et autres végétaux des marais salés.

Les espèces introduites peuvent également causer préjudice aux milieux humides côtiers. Bien qu’elles soient originaires d’une grande partie de l’Amérique du Nord, les bernaches du Canada sont devenues trop nombreuses dans le sud-ouest de la côte de la Colombie-Britannique. Historiquement, la migration de cette espèce l’amenait à traverser cette région au printemps et à l’automne. Mais au milieu des années 1900, une nouvelle population de bernaches juvéniles a volontairement été introduite dans la région. Le manque de prédateurs et le climat tempéré ont créé des conditions idéales pour que ces oiseaux restent dans la région toute l’année et commencent à se reproduire. Depuis, la nouvelle population résidente s’est agrandie et a bouleversé l’équilibre naturel en se nourrissant de la végétation indigène des marais et en déracinant de vastes zones d’habitat de marais littoral. Les dégâts ainsi causés ont entrainé un important phénomène d’érosion dans les estuaires ainsi que la perte d’habitats pour certaines espèces indigènes comme le saumon du Pacifique.
La solution? Réduire, restaurer, règlementer… et changer
Les milieux humides côtiers jouent un rôle essentiel dans la lutte contre la double crise du climat et de la perte de biodiversité. Il est donc crucial que nous nous attaquions aux menaces multiples et interdépendantes qui mettent en péril ces écosystèmes.
Mais pour ce faire, nous devons changer la relation que nous entretenons avec le littoral. D’abord, nous devons réduire les facteurs de stress qui pèsent sur les milieux humides en assurant la gestion des espèces envahissantes et des sources de pollution. Vient ensuite l’étape de la restauration des habitats dégradés. Il peut s’agir, par exemple, de planter des végétaux indigènes afin de stabiliser les rivages et de filtrer l’eau ou encore d’aménager des chenaux de marée pour rétablir le mouvement naturel des marées dans les estuaires et les marais salés.
Ces mesures nécessitent une action concertée de tous les ordres de gouvernement (municipal, provincial, fédéral et autochtone) afin de coordonner la protection du littoral et d’appliquer les règlements existants pour préserver les habitats.
Dans le prochain article de cette série, nous nous pencherons sur le travail des équipes de conservation de WWF-Canada et de leurs partenaires en vue d’atténuer les menaces. Nous explorerons notamment les mesures que peuvent prendre les particuliers, comme les propriétaires fonciers, pour assurer une meilleure gestion des écosystèmes côtiers.