Des prairies saines dans un sol sain : ce que nous avons appris en sursemant un champ dans la campagne de l’Ontario
Vous voulez connaitre une histoire d’impact sur le terrain, ou plutôt dans le terrain?
Par un mercredi ensoleillé de novembre, j’ai accompagné un groupe composé de spécialistes de la conservation, de bénévoles et des collègues du WWF-Canada pour sursemer des terres agricoles marginales sur une superficie de trois hectares dans la communauté rurale de Mono, en Ontario, au nord-ouest de Toronto. Cette méthode de plantation consiste à répandre des semences directement sur la végétation existante afin de réduire les perturbations pour les plantes et les habitats.
Notre hôte, la Nottawasaga Valley Conservation Authority (NVCA) – qui depuis trois ans participe au Programme de subvention nature et climat du WWF-Canada, présenté en partenariat avec Aviva Canada – fait un travail formidable pour régénérer le site à l’aide d’herbes indigènes et de fleurs sauvages.
Pourquoi le site avait-il besoin d’être régénéré? Pendant de nombreuses années, un fermier locataire a cultivé cette parcelle de terrain, mais, au fil du temps, la terre est devenue de moins en moins fertile. Les niveaux de pH, la compaction et la teneur en sable du sol ont rendu difficile le développement des cultures. Ainsi, le propriétaire terrien et un voisin qui possède une propriété adjacente ont décidé de convertir la terre en prairie indigène à la riche biodiversité.
C’est ici qu’entre en scène la NVCA. En 2021, l’organisme a commencé l’ensemencement du site pour le peupler d’herbes indigènes et de fleurs sauvages qui s’épanouiraient dans ce genre de sol.
En novembre, le but de notre travail était de combler certaines des lacunes et d’augmenter la biodiversité du site à mesure que l’écosystème se constitue. (Ce projet est soutenu par notre Programme de subvention nature et climat, de même que par Ontario Native Scapes et Grasslands Ontario).
Au cours de notre visite, nous avons dispersé à la main des graines d’herbes indigènes (dont l’élyme du Canada, le barbon à balais et le panic raide) et de plus 30 espèces de fleurs sauvages (dont le coréopsis trifoliolé, la Centrapulus pauciflorus et la desmodie du Canada). Nous avons arpenté le champ pour éparpiller des graines qui seront pressées dans le sol par l’accumulation de neige pendant l’hiver. En plus d’être agréable (nous avions l’impression de remonter le temps), cette méthode peu technologique a permis de réduire les perturbations pour les fleurs et les herbes indigènes déjà présentes sur le site.
Pendant l’ensemencement, Shannon Stephens, coordonnatrice du programme des eaux saines pour la NVCA, nous a aidé.e.s à mesurer les effets de notre travail sur le sol. Pour ce faire, nous avons utilisé un pénétromètre, un appareil pointu qu’on plonge dans la terre pour mesurer la compaction du sol.
En général, moins le sol est compact, plus il est en mesure de soutenir la matière organique et la croissance des racines. Nous avons également procédé à un test d’infiltration d’eau, au cours duquel nous avons creusé un petit trou, versé de l’eau et chronométré le temps nécessaire pour que le liquide cesse de s’accumuler et soit absorbé par le sol.
Les deux tests ont révélé de bonnes nouvelles. Nous avons appris que le sol est de moins en moins compact : au début du projet, il était si dur que le pénétromètre ne pouvait même pas le transpercer, mais au cours de notre visite, la même mesure a montré un sol plus mou avec une légère couche résiduelle modérément compacte. Nous avons également constaté que la terre absorbe l’eau plus rapidement! Au début du projet de restauration, la réalisation de tests d’infiltration d’eau de la NVCA prenait des heures, mais lors de notre journée sur le terrain, il n’a fallu qu’environ 35 minutes pour faire disparaitre plus de 7 cm d’eau.
Ces données nous indiquent que le sol aura moins tendance à s’éroder ou à se faire emporter par les pluies. Le site peut aussi mieux résister aux fortes pluies et aux inondations, puisque l’eau pénètre plus facilement dans le sol moins compact, un peu à l’image d’une éponge. C’est exactement ce qu’on veut voir devant la montée des évènements météorologiques extrêmes causés par les dérèglements climatiques.
Nous avons aussi bon espoir que les herbes indigènes que nous avons plantées permettent au site de capter et de stocker plus de carbone dans la terre. Comme la plupart des plantes indigènes, ces herbes convertissent la lumière du soleil, l’eau et le dioxyde de carbone en sucres qui descendent dans leurs systèmes racinaires, où ils ont tendance à rester. Ce processus nourrit activement ce qu’on appelle le « réseau trophique du sol » – un riche mélange de matière organique et d’organismes qui se décompose sous la terre. Parce que les structures racinaires des prairies indigènes sont très profondes, elles créent simplement plus d’espace pour les nutriments et le carbone dans le sol. Nous n’avons procédé à aucune surveillance du carbone pendant notre visite, mais nous attendons avec impatience les résultats de la prochaine saison sur le terrain.
La restauration de cette petite parcelle de terre en une nouvelle prairie indigène est un processus lent qui exige beaucoup de patience. Même si ce geste peut sembler minime, il contribue à un objectif plus important. Dans le cadre de notre récente analyse sur le rétablissement des habitats disparus au Canada, nous avons relevé l’existence de plus de 3,9 millions d’hectares de terres converties dans tout le Canada qui, une fois restaurées, contribueraient à freiner la perte de biodiversité et les dérèglements climatiques. Notre rapport a identifié des régions clés dans le sud de la Colombie-Britannique, du Manitoba, du Québec et de l’Ontario, où le travail de restauration aurait le plus d’impact, et dont fait partie la bande de terre de Mono.
En s’efforçant de créer un réseau de prairies indigènes saines, la NVCA aide à contrer les effets des dérèglements climatiques par la séquestration du carbone de l’atmosphère et la création d’habitats de qualité pour les oiseaux, les insectes et les animaux en péril – tout en améliorant la santé du sol.
C’est le genre de croissance que nous voulons tous et toutes voir!
Trois faits intéressants sur les prairies indigènes :
- Peu de gens savent que les herbes indigènes sont en fait des plantes hôtes pour un magnifique petit papillon orange timide qu’on appelle hespérie.
- Les herbes indigènes vivaces remplissent également une importante fonction dans les écosystèmes de prairies en servant d’échafaudage aux hautes fleurs sauvages qui, autrement, ne pourraient pas se tenir droites. Ces plantes ont besoin l’une de l’autre et vivent en symbiose.
- Les herbes indigènes libèrent des sucres et des protéines dans le sol, qui nourrissent des microbes et champignons bénéfiques.
Ryan Godfrey est botaniste expert et spécialiste, Action communautaire chez WWF-Canada.