Pleins feux sur l’Athabasca – le b-a-ba de la protection des besoins d’une rivière

Mathieu Lebel, conseiller en gestion de l’eau, et Rob Powell, agent principal des programmes prioritaires de conservation
Ce texte fait partie d’une série spéciale de blogues du WWF-Canada sur la rivière Athabasca, son écosystème unique, la gestion de ses eaux et surtout, ce qui peut être fait pour en assurer la vitalité future. Voici le deuxième blogue de cette série – vous retrouverez le premier en cliquant ici. L’évaluation de la rivière Athabasca est présentée dans la rubrique Bilans de santé des cours d’eau du site du WWF-Canada.
De quelle quantité d’eau une rivière a-t-elle besoin? En apparence simple, cette question ne l’est effectivement qu’en apparence! Disons que la communauté scientifique a réussi à s’entendre sur quelques principes de base, dont celui de l’importance de protéger les rivières pendant les périodes de très faibles débits. Ce principe s’applique parfaitement au cours inférieur de la rivière Athabasca.

Cerfs© Valerie Whetter / WWF-Canada
Deux cerfs mulet (Odocoileus hemionus) s’abreuvant dans la rivière Athabasca

On le sait, le Canada est un pays d’eau, et ses fleuves et rivières affichent une très grande diversité. L’Alberta est sillonnée par d’immenses cours d’eau – la rivière des Esclaves se rend jusqu’aux Territoiresdu Nord-Ouest – et de plus petits, comme la rivière Milk dont le tracé fait un petit détour par le Montana. Chacun des divers cours d’eau a son propre régime de débits et de niveaux des eaux, et abrite des espèces différentes. Par exemple, le fleuve Fraser en Colombie-Britannique abrite l’esturgeon blanc et cinq espèces de saumon du Pacifique – quinnat, kéta, coho, saumon rose et saumon rouge – tandis que l’omble de fontaine (ou truite mouchetée) fréquente de nombreux cours d’eau à travers l’Ontario. Ainsi chaque cours d’eau fournit un ensemble qui lui est propre de bienfaits environnementaux et d’avantages sociaux et économiques, et a besoin pour ce faire d’un volume et d’une qualité acceptable d’eau aux moments nécessaires pour conserver sa vitalité. La protection des besoins en eau, ce qu’on appelle couramment le débit environnemental, est maintenant un impératif de la gestion de l’eau à travers la planète.

Rivière Milk
© Mathieu Lebel / WWF-Canada

Rivière des Esclaves et rivière Milk, en Alberta. La protection et la restauration des débits environnementaux sont essentielles à la santé des cours d’eau.

Il est évident que la diversité des cours d’eau suppose une diversité de débits environnementaux. La difficulté consiste donc à cerner les principes de base « universels » de protection et de restauration de ces débits! La question est particulièrement pertinente pour des cours d’eau comme le cours inférieur de l’Athabasca, au sujet duquel on attend depuis longtemps que se tienne une consultation publique et que soit proposé un nouveau plan de gestion. Heureusement, l’on dispose d’études scientifiques précises menées sur l’Athabasca, ainsi que de pratiques éprouvées ici au Canada, mais ailleurs dans le monde également, ce qui nous donne une idée de ce que serait la bonne approche à la protection des débits environnementaux et à la gestion de l’eau du cours inférieur de l’Athabasca.
Parmi ces principes de base émergeant en matière de protection des débits environnementaux à travers le monde, au Canada et en Alberta, mentionnons l’approche en deux volets qui prévoit 1) une limite cumulative à la modification des débits naturels, et 2) l’arrêt de l’extraction d’eau pendant les périodes de très faibles débits. Cette deuxième partie, qu’on appelle débit de base de l’écosystème ou limites imposant l’arrêt de l’extraction, désigne fondamentalement le volume de débit auquel ou en deçà duquel l’écosystème a besoin de toute l’eau disponible. Il s’agit là d’un concept intuitif – de faibles débits causeront un stress aux poissons et autres formes de vie aquatique, car ils réduisent la taille de l’habitat et nuisent à la qualité de l’eau, et l’extraction d’eau durant ces périodes ne peut alors qu’accroître les risques pour l’écosystème aquatique. Au Canada, les débits peuvent être faibles en été et en hiver – dans le cas du cours inférieur de l’Athabasca, les débits sont faibles en hiver lorsque la surface de la rivière est gelée, et cette période en est toujours une de stress pour les espèces aquatiques qui l’habitent.

Rivière Athabasca, Alberta, Canada© Dave Burkhart / WWF-Canada
Le cours inférieur de l’Athabasca est plus sensible à l’extraction d’eau pendant les périodes de faibles débits, qui surviennent surtout pendant l’hiver

À l’échelle internationale, le principe du débit de base de l’écosystème est appliqué et recommandé dans le cadre des programmes de protection des débits environnementaux et de gestion de l’eau dans de nombreux endroits, notamment en Floride et au Royaume-Uni. Ici au Canada, le ministère des Pêches et Océans a recommandé qu’une limite imposant l’arrêt d’extraction soit prévue dans le cadre de l’approche globale de conservation et de protection des pêches, tandis qu’à l’échelon provincial, l’Alberta a opté pour un débit de base de l’écosystème dans le cadre de sa méthodologie de détermination des débits environnementaux. Plus précisément à l’égard du cours inférieur de l’Athabasca, la recommandation soumise dans une perspective scientifique, était « qu’un débit en dessous duquel aucun retrait d’eau ne peut être effectué doit être établi pour le cours inférieur de la rivière Athabasca ». Soulignons que la détermination du débit précis correspondant au débit de base de l’écosystème d’un cours d’eau relève du défi scientifique, aussi recommande-t-on souvent que ce débit soit fixé avec la plus grande prudence, et qu’il soit revu périodiquement lorsque de nouveaux éléments d’information deviennent connus.
La protection d’un cours d’eau pendant les périodes de faibles débits est donc essentielle au maintien de ses débits environnementaux et à une saine gestion de l’eau. Dans le cas du cours inférieur de l’Athabasca, cela pourra se faire dans le cadre d’un nouveau plan de gestion de l’eau.