Les écologistes ne veulent pas d’une eau transparente. Voici pourquoi.

Par Anthony Merante, Spécialiste associé, Rapports sur les bassins versants

À quoi ressemble une eau de qualité? Pour plusieurs, il s’agit d’un bon verre d’eau potable. Pour d’autres, c’est un lac cristallin où le bleu du ciel s’y reflète. Mais, lorsqu’on pose la question aux environnementalistes, ils dépeignent une image bien différente. Ils utilisent des verts clairs d’algues et des bruns terreux pour décrire les écosystèmes aquatiques sains et productifs. Et ils adoptent un vocabulaire incluant des mots comme nutriments, métaux, acidité et productivité. Or, en réalité, c’est bien cela qui décrit véritablement une eau de qualité et la chimie de nos lacs et rivières en santé.

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Participants de la Nation Sioux effectuant le suivi de qualité de l’eau. Crédit : Raegan Mallinson / Wildsight

Le suivi assidu de l’eau nous procure son contenu en nutriments et en métaux, et nous permet d’obtenir un aperçu de son état de santé. Les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux ont ainsi fixé des niveaux cibles pour chacun des paramètres de santé de l’eau, tels que l’oxygène, le pH, les nutriments, le carbone organique et les métaux. Ces seuils sont vitaux pour les écosystèmes et les animaux.

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Une expérience sur les niveaux d’éléments nutritifs en eaux douces. Sur la photo : Mésocosmes contenant du carbone organique, une composante d’une eau de qualité qui la brunit et réduit ainsi la pénétration de la lumière. Photo : Marilyne Robidoux

A titre d’exemple, intéressons-nous au phosphore. C’est ce produit qui est identifié comme la cause première de la prolifération des algues du lac Érié en Ontario. On retrouve le phosphore couramment dans les engrais largement utilisés. Le phosphore a un effet prépondérant au tout début de la chaîne alimentaire aquatique. Dans un régime aquatique, le phosphore peut devenir comme un morceau de gâteau au chocolat que l’on dévorerait après une diète alimentaire sévère. Comme pour le gâteau au chocolat, le phosphore ne fera pas de dégât s’il est consommé avec modération. Mais s’en empiffrer conduit à des résultats désastreux.

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Prolifération d’algues dans le lac Érié, 28 juillet 2015. © NASA Earth Observatory

Les algues, qui forment la base de la chaîne alimentaire et sont sources d’oméga-3, sont ainsi les premiers consommateurs de phosphore. Les algues s’en alimentent à satiété, à un rythme affolant, pour en fin de compte devenir affamés lorsque le phosphore est éradiqué. Alors qu’elles le consomment, les algues prolifèrent outrageusement, jusqu’à fleurir – fleurs qui meurent et se décomposent, éliminant ainsi l’oxygène de l’eau. Les espèces plus grandes, telles que les poissons, vont alors mourir asphyxiées. Avec un tel  scénario, on élimine à la fois la base que le sommet de la chaîne alimentaire dans de nombreux systèmes d’eau douce.

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Image du Rapport sur les bassins versants du WWF-Canada,avec le paramètre Qualité de l’eau, le long de la frontière entre le Québec et l’Ontario, dans le bassin de la rivière des Outaouais.

C’est ainsi que de petits changements dans la qualité de l’eau peuvent générer une avalanche d’effets en chapelet, bouleverser la dynamique de la chaîne alimentaire et carrément détruire la population biotique. Qui plus est, ces impacts ne s’arrêtent pas au milieu aquatique. Car la chaîne alimentaire terrestre est profondément associée à la chaîne alimentaire aquatique. Par exemple, les poissons nourrissent de grands prédateurs tels que les ours et les oiseaux. Ce triste portrait démontre toute l’importance de prêter une attention particulière à la santé de notre eau en effectuant le suivi de sa qualité et de sa chimie.
Pour en savoir plus sur la qualité de l’eau de votre communauté et connaître d’autres menaces à l’eau douce, consultez nos rapports sur les bassins versants à https://watershedreports.wwf.ca/fr/#intro