La nature a remporté l’élection, mais le véritable travail commence maintenant

Cette nouvelle étape doit faire place à l’action, sans jeux politiques ni désinformation, qui requiert une nouvelle approche de fonctionnement pour le gouvernement

Le Canada détient le littoral le plus long du monde, près de 25 % des milieux humides de la planète, 20 % de l’eau douce et 9 % des forêts, des terres et des eaux, qui abritent environ 80 000 espèces végétales et animales. Nos richesses naturelles sont extraordinaires, et subissent de plus en plus de pression.

Photo d’une forêt marécageuse ensoleillée prise des airs par un drone
Terrain marécageux en Ontario © Shutterstock

Malgré les défis économiques de taille auxquels il fait face, le gouvernement libéral réélu a reconnu l’importance de protéger cette riche biodiversité en faisant de la nature un élément central de sa plateforme, ce qui en soi vaut la peine d’être célébré.

Les engagements du parti envers la protection et la restauration de 30 % des terres et des eaux du Canada d’ici 2030, l’expansion des programmes de Gardien.ne.s autochtones en Arctique, l’augmentation du financement pour les efforts de conservation et de protection menés par des Autochtones et l’investissement dans la sécurité de l’eau douce représentent des progrès continus.

Ces promesses sont encourageantes, mais nous savons que l’ambition en elle-même n’est pas suffisante pour sauver la nature. Seules des actions concrètes peuvent le faire.

Le Canada a accepté de mettre en place des objectifs ambitieux, plus récemment avec le Cadre mondial de Kunming-Montréal pour la biodiversité de 2022. Mais la concrétisation de ces ententes s’est souvent fait attendre.

Ce n’est pas ici la faute d’un seul gouvernement ou individu. Cela reflète plutôt l’ampleur et la complexité des crises de la biodiversité que nous vivons. C’est pourquoi cette nouvelle étape doit faire place à l’action, sans jeux politiques ni désinformation, et requiert une nouvelle approche de fonctionnement pour le gouvernement, tout en tenant compte de la nature.

Pour relever le défi actuel, alors que la croissance économique et la nature font face à de grandes difficultés, nous devons « intégrer » la biodiversité à tous les ordres de gouvernement.

Une femme souriante dans un paysage arctique ensoleillé durant l’hiver
Megan Leslie, présidente-directrice générale du WWF-Canada, à Iqaluit, NU © Emina Ida

La protection de la nature ne peut être le travail d’un seul ministère; elle doit être au cœur des décisions prises en matière de finances, d’infrastructures, de ressources naturelles et de commerce. Que ce soit pour harmoniser les investissements économiques à la résilience des écosystèmes ou pour assurer que le développement urbain comprend des espaces pour la nature, la santé de notre environnement doit être intégrée à tous les dossiers gouvernementaux, et non pas ajoutée après coup.

Mais pour véritablement réussir, la biodiversité a également besoin d’un.e champion.ne ministériel.le au rôle défini doté.e d’une autorité transversale. Un ministère d’attache qui coordonne l’exécution, s’assure que chacun.e respecte ses responsabilités et veille à ce que les progrès ne stagnent pas dans un flou de compétences. Il ne s’agit pas de bureaucratie, mais de gouvernance intelligente.

Et c’est aussi bon pour l’économie.

À l’échelle de la planète, plus de la moitié du PIB mondial, soit environ 44 billions de dollars, dépend directement des services de la nature, de la pollinisation jusqu’à la régulation du climat, en passant par la purification de l’eau. Pourtant, ces systèmes sont en péril. Entre 1970 et 2020, les populations d’espèces dans le monde ont chuté d’un effroyable 73 %.

Les systèmes naturels en difficulté ne touchent pas seulement les espèces – les humains ne connaissent que trop bien les effets d’un climat changeant. L’an dernier seulement, les dommages assurés découlant de phénomènes météorologiques, comme les feux de forêt, les inondations et les tempêtes de grêle, amplifiés par le réchauffement de la planète, se sont élevées à plus de 8,5 milliards de dollars au Canada.

Les solutions basées sur la nature, comme la restauration des forêts, des berges et des milieux humides, peuvent aider à atténuer les effets des dérèglements climatiques grâce à la prévention des inondations, au refroidissement et à la séquestration du carbone. Elles ont également le potentiel de créer des milliers d’emplois. Mais plus nous attendons, plus les solutions deviennent couteuses et complexes.

Nous avons vu ce qu’il est possible d’accomplir en arrimant la croissance économique et la conservation.

Au Nunavut, les programmes de Gardien.ne.s inuit.e.s ne servent pas uniquement au suivi des espèces de l’Arctique et des dérèglements climatiques qui s’accélèrent, ils créent également des économies de conservation durables. Ce modèle soutient la prospérité des communautés, les traditions culturelles et la sécurité alimentaire sans les risques associés aux industries extractives. En fait, les études commandées par le WWF-Canada ont démontré que ces programmes rapportent « plus du double pour chaque dollar investi », soit déjà plus de 27 millions de dollars.

Le programme des Gardien.ne.s de Taloyoak, lancé en 2016 en tant que composante du projet d’aire protégée et de conservation inuite d’Aviqtuuq, a généré plus de 12 millions de dollars de retombées positives pour la communauté, en plus des possibilités d’emploi évaluées à 1,3 million de dollars par an.

Une personne affairée à planter des arbres, armée de sacs de semis, marchant dans une forêt brulée jonchée de nouvelles pousses.
Plantation d’arbres au printemps menée par la SRSS dans la forêt près du lac Deka, en Colombie-Britannique. © New Parallel Studios / WWF-Canada

En Colombie-Britannique, la Secwepemcúl’ecw Restoration and Stewardship Society (SRSS) travaille à la restauration de près de 200 000 hectares de forêts ravagées par les feux de forêt qui ont entrainé une perte de services écosystémiques évaluée entre 500 millions et 1 milliard de dollars.

Il ne s’agit que d’un aperçu des possibilités. Avec un leadership fédéral coordonné, nous pouvons faire croitre l’économie canadienne tout en protégeant les merveilles naturelles qui nous définissent.

C’est ce que souhaitent les Canadien.ne.s : dans un récent sondage EKOS commandé par Nature Canada, 84 % des répondant.e.s affirmaient souhaiter que le gouvernement en fasse plus pour protéger les espèces.

Nous remercions donc le gouvernement libéral réélu de donner à la nature et à la conservation une place centrale dans la voie vers l’avenir du Canada. Retroussons-nous les manches ensemble. Parce que des promesses ont été faites, et que le véritable travail commence maintenant.

Megan Leslie, présidente-directrice générale, Fonds mondial pour la nature (WWF-Canada).

Cette page en regard de l’éditorial a été publiée en anglais dans le The Hill Times le 7 mai 2025.