Journal d’un chercheur : rétrospective sur le dénombrement des rhinocéros
Après que le Népal a annoncé les derniers chiffres du dénombrement des rhinocéros – qui a révélé une hausse de 16 % entre 2015 et 2021 – le directeur des programmes du WWF-Népal, Kanchan Thapa, nous a parlé de son premier dénombrement de rhinocéros en 2005.
D’anciens terrains de jeu
C’était une journée ordinaire au travail. J’étais assis à mon bureau à visionner des vidéos du dénombrement de rhinocéros de 2021. Les images et les sons m’ont immédiatement ramené à une autre époque, à un autre endroit, soit il y a environ 15 ans, lors de mon premier dénombrement de rhinocéros.
J’ai bien participé à plus de cinq autres dénombrements depuis, mais la technique, le processus et la durée demeurent les mêmes. Les rhinocéros sont comptés par des responsables à dos d’éléphants durant une période d’un mois, où les équipes ratissent systématiquement des parcelles de l’habitat du rhinocéros. Ces parcelles d’habitat peuvent se composer de plaines marécageuses inondables et de forêts riveraines, l’habitat préféré de ces mastodontes, ainsi que de forêts de sals, une espèce d’arbre indigène.
Lentement mais surement, nous avançons dans les hautes herbes qui poussent aussi haut que sept mètres, dont le nom commun est herbe à éléphant. Tout à coup, mon walkietalkie bipe : « Équipe 32, Roger, ici Équipe 33 ».
C’était le capitaine de l’équipe de dénombrement, Madhav Khadka, alors employé du gouvernement posté au parc national Chitwan et aujourd’hui proche collègue au WWF-Népal.
L’appareil a crachoté : « Un rhinocéros se dirige dans votre direction, trouvez l’animal et notez-en la description. 10-4 »
C’était un rhinocéros adulte mâle de deux mètres de haut avec un corps gris d’apparence préhistorique, une peau semblable à une armure et une corne recourbée, qui se tenait tout juste à 10 m de nous. J’ai noté ses traits, la date et l’heure.
C’était mon premier rhinocéros compté dans ce dénombrement inaugural.
Pour éviter de compter deux fois le même animal, l’équipe s’assure que le rhinocéros compté se retrouve derrière la ligne de surveillance. Tout au long du processus, les équipes se signalent aux autres équipes adjacentes pour éviter d’avoir des trous dans la ligne d’éléphants et s’assurer qu’aucun rhinocéros ne manque à l’inventaire.
J’étais un peu sceptique au sujet de la méthode, au début. Après tout, n’y a-t-il pas une chance pour qu’un individu déjà compté dans un bloc se déplace vers le bloc adjacent le jour suivant?
Narendra Man Babu Pradhan, ancien écologiste au ministère des Parcs nationaux et de la Conservation de la faune était heureux de m’en expliquer le fondement. « Il faut toujours partir d’hypothèses lors d’un inventaire : comme ce qui entre est égal à ce qui sort. Ainsi, s’il est possible que des animaux comptés aujourd’hui se déplacent dans le prochain bloc à relever, la possibilité inverse existe également. »
Je tombe de l’éléphant, mais j’y remonte
Chaque jour du dénombrement représente un défi ardu. Les iles de la rivière Narayari, au nord-ouest du parc national Chitwan, est un des endroits les plus difficiles de l’opération. C’est presque impossible d’y faire une ligne d’éléphant ou de se faire un chemin dans la forêt le long du delta formé par les méandres de la rivière Narayani et de ses habitats denses.
Des buissons épineux et une végétation serrée n’offrent souvent que peu de visibilité pour localiser des rhinocéros, ce qui rend difficile leur identification et l’observation de leur genre, de leur groupe d’âge et d’autres traits distinctifs. Les équipes se communiquent donc leur identification de rhinocéros pour que les autres équipes sachent que l’animal a été compté.
Le dénombrement de rhinocéros peut sembler simple. Néanmoins, l’évènement dans son entier est une aventure épuisante physiquement et mentalement – et même parfois dangereuse, parce qu’il est toujours possible de rencontrer des animaux sauvages.
Je me rappelle d’être tombé d’un éléphant durant le dénombrement de 2015. En entendant le grognement d’un rhinocéros, je me suis penché pour le voir dans les hautes herbes de Sukhibar.
L’éléphant a sursauté au même moment et ma main a glissé par-dessus la corde de sécurité. La première chose dont je me suis rendu compte alors, c’est que j’étais sur le sol. Heureusement, j’étais atterri sur un sol humide, et je m’en suis tiré avec seulement des ecchymoses. Je suis péniblement remonté en sécurité sur le dos de l’éléphant avec l’aide du cornac. Par chance, le rhinocéros s’en était allé.
La dernière étape du dénombrement s’est conclue à Nagar ban, près de la ville de Narayanghat. Cet après-midi-là, les rhinocéros comptés durant la journée ont été additionnés à ceux précédemment comptabilisés. Le total a été vérifié par des expert.e.s et des représentant.e.s du parc national, puis endossés par le ministère des Parcs nationaux et de la Conservation des espèces. De manière similaire, les nombres obtenus dans les deux autres parcs nationaux – Bardia et Shuklaphanta – ont été inclus dans le total national qui était de 409 cette année-là.
Au cours de ces 25 jours, j’ai pu compter un total de 10 rhinocéros. J’étais absolument ravi d’avoir fait l’expérience des hauts et des bas du dénombrement de rhinocéros.
Ça monte et ça descend
De retour à mon bureau, je suis assis à contempler les chiffres. Il y a un certain charme à voir le nombre de rhinocéros monter de façon constante jusqu’à atteindre aujourd’hui 752 – près du double de nombre qu’il y avait à mon premier dénombrement il y a 16 ans. Ça m’apporte beaucoup de joie et de satisfaction.
De bons efforts de conservation ont aussi permis 365 jours d’affilée sans braconnage à sept reprises entre 2010 et 2021.
Si les efforts du gouvernement ont joué un rôle crucial dans ce résultat, les communautés locales vivant dans les zones tampons méritent une part égale du crédit. Les communautés sont les utilisatrices actives des forêts de ces zones tampons, où vivent aussi les rhinocéros. Des initiatives basées dans les communautés comme la gestion des interactions négatives entre espèces et humains, la gestion de la forêt et le soutien aux efforts de protection ont appuyé le succès de la conservation du rhinocéros au Népal.
Le dénombrement des rhinocéros n’est pas qu’une histoire de chiffres. Il reflète l’efficacité des mesures de conservation et il influence les futures stratégies pour la conservation des rhinocéros.
Bien que le nombre de rhinocéros se soit accru, il faut bien noter que les taux de croissance ont enregistré un ralentissement. De plus, les données sur la répartition des rhinocéros indiquent qu’ils sont concentrés dans la partie ouest du parc national Chitwan – un autre signal inquiétant – ce qui serait causé par la sécheresse des conditions de l’habitat dans la partie est du parc. Des efforts pour remédier à ce problème doivent par conséquent être priorisés.
Le dénombrement de rhinocéros a toujours comporté des risques et nous avons connu quelques cas de blessure. Malheureusement, 2021 a été la première année où quelqu’un a perdu la vie aux griffes d’un tigre durant l’exercice. Après sept dénombrements nationaux des rhinocéros conduits avec la même méthodologie, il est temps de considérer d’autres méthodes.
L’échantillonnage générique à partir de déjections de rhinocéros est une proposition viable. Une autre option, devant toutefois être testée, est l’utilisation de drones munis de caméras thermiques qui captent la signature thermique des rhinocéros malgré la canopée et les hautes herbes.
Le prochain dénombrement est prévu en 2025 et j’ai confiance que le Népal pourra faire usage des technologies de plus en plus disponibles pour maintenir l’héritage du dénombrement de rhinocéros.
Donnez aujourd’hui pour soutenir la conservation du rhinocéros indien et d’autres espèces en péril. D’ici le 20 mai, votre don sera jumelé pour en doubler l’impact.
