Entre emblème et réalité : le rôle complexe de l’ours polaire

Pour certains d’entre nous, l’ours polaire est un emblème national et un animal que l’on associe souvent à la lutte contre les changements climatiques, la fonte de la banquise menaçant leur survie à long terme.

Polar bear (Ursus maritimus), Churchill, Manitoba, Canada.
Ours polaire (Ursus maritimus), Churchill, Manitoba, Canada. © Marie-Chantal MARCHAND / WWF-Canada

Mais pour plusieurs Canadiens vivant dans le Grand Nord, le nanuq (ours polaire en langues Inuvialuktun et Inuktitut) fait partie des éléments essentiels à leur existence : source d’art, de tradition, d’identité et d’alimentation.
« Les ours polaires sont pour nous une source alimentaire, affirme Frank Pokiak, ancien président du Conseil Inuvialuit de gestion du gibier et chasseur Inuvialuit expérimenté de la communauté côtière de Tuktoyaktuk, T. N.-O. Quelques personnes en tirent un revenu en vendant les peaux. L’argent ainsi récolté sert à acheter la nourriture et les vêtements pour leurs familles. »

La viande d’ours polaires et des autres espèces de l’Arctique est essentielle à la diète traditionnelle des communautés nordiques et la chasse est une activité centrale de la vie dans le Grand Nord. Dans la région désignée des Inuvialuit, les produits de la chasse et de la pêche comptent pour la moitié et plus de la consommation quotidienne pour près de 40 % des habitants.
Les menaces envers les ours polaires sont aussi des menaces pour ces gens.


Le saviez-vous? Le Canada a probablement l’habitat de glace le plus durable au monde pour les ours polaires et les autres espèces qui dépendent de la glace pour vivre. Le WWF travaille avec les communautés nordiques et le gouvernement afin de conserver les zones essentielles pour la survie des espèces et communautés. Apprenez en plus sur notre campagne : Habitat arctique


Ainsi, les ours polaires sont un élément fondamental de l’écosystème arctique. C’est pour cette raison que les habitants du Grand Nord ont développé avec le temps une connaissance approfondie et un profond respect pour cette espèce. Et avec les savoirs et expériences qui s’accumulent avec les générations, ces habitants jouent un rôle fondamental dans la gestion des populations d’ours polaires. « Notre accord sur les revendications territoriales de 1984 nous concède la responsabilité de gérer nos ressources fauniques, explique Pokiak. Nous le prenons vraiment au sérieux. Nous ne voulons pas appauvrir les espèces que nous chassons et consommons; nous voulons les voir encore ici pour les générations à venir. »

Three polar bears in Nunavut, Canada.
Trois ours polaires, Nunavut, Canada. © Florian Schulz/visionsofthewild.com

La majorité des sous-populations d’ours polaires au Canada sont stables ou augmentent, indiquant ainsi que la chasse à l’ours polaire des Inuits est durable et bien gérée. Une des rares régions où l’on observe un déclin dans le nombre d’ours polaires est au sud de la mer de Beaufort. À moins qu’ils ne soient résolus, les changements climatiques auront un impact sur le statut des ours polaires dans un avenir rapproché.
La communauté scientifique n’a pas toujours pris au sérieux le savoir traditionnel qui guide les communautés nordiques depuis des milliers d’années. « Le savoir traditionnel se transmet à l’oral, pas à l’écrit, nous dit Pokiak. Ça le rend difficile à transmettre au monde extérieur. Les scientifiques doivent écouter. »
Aujourd’hui, les chercheurs reconnaissent de plus en plus le rôle fondamental dont doivent jouir les communautés locales et leur expertise dans la gestion des ressources. « Le rôle du savoir traditionnel est vraiment important dans le processus de prise de décision, affirme Rachel Théoret-Gosselin, spécialiste de l’Arctique de l’Est du WWF-Canada. La plupart des études scientifiques dans le Nord sont effectuées durant l’été et sont souvent menées à court terme. Mais les Inuits sont ici toute l’année et le sont depuis 1 000 ans! Ils ont des connaissances que la science n’a pas encore eu l’opportunité d’observer ou de documenter. »

Polar bear (Ursus maritimus) walking on ice, Churchill, Canada.
Ours polaire (Ursus maritimus) marchant sur la glace, Churchill, Canada. © WWF-US / Elisabeth Kruger/

Le WWF-Canada travaille avec les communautés pour comprendre leurs inquiétudes et soutenir leurs actions environnementales. À Chesterfield Inlet, par exemple, un atelier communautaire a été mis sur pied récemment afin d’examiner les impacts de l’augmentation du trafic maritime. Les membres de la communauté ont observé une diminution dans les populations de mammifères marins dans la région alors que le trafic maritime augmentait. Le WWF collabore avec ces communautés pour cartographier les zones primordiales pour les espèces les plus prisées, identifier des mesures de mitigation acceptables pour la communauté qui aideraient à réduire les impacts ressentis présentement.
« Nous utilisons le savoir inuit pour nous aider à avoir un aperçu de ce que la science ne peut encore expliquer, raconte Théoret-Gosselin. En se fiant à la fois sur ce savoir traditionnel et sur la recherche scientifique, nous pouvons nous assurer que les zones les plus vulnérables sont protégées pour veiller à ce que les nouvelles opportunités économiques puissent coexister à long terme avec l’écosystème, les espèces et les communautés qui sont ici depuis des millénaires. »