Le projet de loi sur le budget déposé à la chambre des Communes vendredi dernier constitue une sérieuse atteinte à la démocratie au Canada.

En effet, le volumineux projet de loi propose des « réformes » drastiques de la manière dont nous protégeons le capital naturel irremplaçable du Canada – poissons, forêts, océans et faune. Le document de plus de 400 pages devra être décortiqué, mais certaines des propositions qu’il contient sautent déjà aux yeux.

Des milliers de saumons Sockeye retournent frayer dans la rivière Adams, en Colombie-Britannique @ Andrew S. Wright / WWF-Canada
La nouvelle loi restreint le droit accordé aux citoyens de s’élever à la défense de la nature et des économies locales durables.  Allez demander aux familles de la Colombie-Britannique si elles sont directement touchées par les pétroliers qui se promènent le long des côtes de la C.-B., elles vous répondront sans doute que oui. Néanmoins, la nouvelle loi stipule que seul le point de vue de ceux qui ont un intérêt économique direct dans un projet pourra être exprimé dans le cadre des processus d’examen comme celui que tente de réaliser la Commission d’examen conjoint en ce moment au sujet du projet d’oléoduc et de pétroliers de la société Enbridge. En Alberta, où cette formulation sert à déterminer qui aura le droit de s’exprimer au sujet de projets énergétiques, les propriétaires privés et les entreprises ayant un intérêt direct sont admissibles, mais les personnes dont l’intérêt pour un lieu ou à l’égard d’un projet est d’ordre récréatif ou environnemental – la protection des espaces naturels, par exemple – n’ont souvent pas voix au chapitre. Autrement dit, le nombre record de citoyens qui veulent exprimer leur position en faveur de la protection de la zone marine du Grand Ours – un des écosystèmes les plus riches et diversifiés sur Terre – pourraient se voir interdire de participer aux audiences et de s’exprimer. Une telle approche est inadmissible dans un pays soi-disant démocratique. Cela pourrait avoir pour effet de détourner les citoyens du processus démocratique pour se tourner vers les tribunaux, voire la rue, pour se faire entendre. Peut-être pas le climat idéal pour rassurer les investisseurs…
Le projet de loi accorde aux organes de réglementation de nouveaux et inquiétants pouvoirs qui leur permettront de mettre fin à des audiences et d’interrompre des évaluations environnementales. Des amendements à la Loi sur l’Office national de l’énergie permettront d’imposer de nouvelles échéances réglementaires aux processus d’examen. En outre, la loi autorisera, s’il semble qu’une échéance ne sera peut-être pas respectée, certaines mesures sans précédent. Ainsi de très vastes nouveaux pouvoirs accordés au président de l’ONÉ lui permettront d’accélérer le processus, voire carrément d’y mettre fin. De fait, la loi précise que si le président estime que l’échéance ne sera pas respectée, il pourra retirer de leurs fonctions les autres membres du comité, ou tout simplement adopter toute mesure jugée appropriée pour faire en sorte que l’échéance soit respectée. Toute mesure? Autrement dit, si le président de l’ONÉ n’aime pas la direction que prend une audience donnée, il aura le pouvoir de tuer dans l’œuf l’ensemble du processus. Bonjour la consultation!
Le projet de loi C38 autorise les politiciens à décider que certains poissons ou cours d’eau ne valent pas la peine qu’on les protège.
Les poissons et leurs habitats seront les grands perdants d’un projet de loi soi-disant budgétaire. Noyé, c’est le cas de  le dire, dans l’épaisseur du projet de loi, se trouve le plan du gouvernement de réécrire complètement la Loi sur les pêches. Si ce projet de loi est adopté, le seul palier de gouvernement au Canada auquel la constitution accorde le mandat de protéger nos poissons se détournera de ce devoir, pour ne s’intéresser qu’aux voies et zones maritimes utiles aux grandes pêcheries commerciales, aux zones exploitées à des fins récréatives ou dans le cadre des ententes avec les nations autochtones.
Quelles conséquences cela suppose-t-il?
Voyez le projet d’oléoduc d’Enbridge, qui se propose de traverser 996 cours d’eau et rivières dans le nord de l’Alberta et de la C.-B., des cours d’eau qui abritent 41 espèces de poissons, dont 6 sont sous la loupe des conservationnistes : ombre de l’Arctique, omble à tête plate, crabe à pois, truite fardée côtière, esturgeon blanc et mulet perlé. Ces cours d’eau abritent également la truite arc-en-ciel de la Colombie-Britannique et les cinq espèces de saumon du Pacifique.
Or, il se pourrait que du fait que nombre de ces cours d’eau et poissons se trouvent dans des régions isolées et ne font pas partie d’un réseau de pêcheries, que la nouvelle loi sur les s n’exige pas d’examen par le MPO des impacts de la construction et de l’exploitation d’un oléoduc sur ces habitats. Ou alors, des règlements pourront être adoptés afin que ces cours d’eau soient expressément exemptés des dispositions de la loi sur les pêches afin de permettre que la construction de l’oléoduc se poursuive sans tarder et sans que ne soit imposée la moindre exigence en matière de protection des habitats.
Cette année marque le 20e anniversaire du Sommet de la terre de Rio, auquel un autre premier ministre du Canada – également conservateur – avait participé avec enthousiasme ET signé des conventions mondiales de conservation de la nature et d’expansion des droits des citoyens de participer aux processus décisionnels en matière environnementale. Pendant une bonne partie de ces 20 dernières années, le Canada a été vu comme un chef de file d’un développement réellement durable et responsable qui considère qu’un environnement sain est essentiel à une société et à une économie florissantes. Et voilà qu’on s’apprête à marquer cet anniversaire en faisant un immense bond en arrière. Il y a de quoi s’inquiéter.