Agissez localement : comment les plantes indigènes aident à lutter contre les espèces envahissantes

Agissez localement est une série de blogues sur les façons d’appliquer chez vous, à l’échelle locale, les solutions climatiques basées sur la nature utilisées par les récipiendaires de notre Programme de subvention nature et climat.

Les plantes envahissantes ont l’air inoffensives. Certaines sont même très jolies! Toutefois, si on ne les contrôle pas, les arbres, les vignes et les roseaux envahissants peuvent faire des ravages dans les écosystèmes locaux.

Young dense blazing star plants in a field in Markham, Ont.
L’organisme Friends of the Rouge Watershed plante des espèces indigènes, comme le liatris à épis, pour lutter contre la propagation des espèces envahissantes à Markham, en Ontario. © WWF-Canada

À l’est de Toronto, Friends of the Rouge Watershed (FRW) lutte depuis des décennies contre les plantes envahissantes. L’organisme communautaire travaille à la protection, à la restauration et à la régénération des habitats de forêts, de rivages, de milieux humides et de champs dans le parc urbain national de la Rouge et ses environs, notamment en minimisant l’étalement des plantes envahissantes par une approche basée sur la nature. La beauté dans tout ça? FRW arrive à le faire par la plantation et l’intendance de plantes indigènes – lesquelles séquestrent aussi le carbone, servent d’habitats aux espèces en péril et offrent une protection contre les inondations.

Que pouvez-vous apprendre du travail de FRW pour éloigner la végétation indésirable et que pouvez-vous faire pour contrôler les espèces envahissantes dans votre cour? Nous faisons le tour de la question avec Jim Robb, qui travaille à la protection et à la restauration de la vallée de la Rouge depuis près de 40 ans et qui est directeur général de FRW depuis 1997.

Beaucoup de gens seraient surpris d’apprendre que les espèces envahissantes sont un problème dans les villes et aux alentours, en particulier dans de grandes villes comme Toronto. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi les espèces envahissantes aiment l’environnement urbain?

Jim Robb, General Manager, Friends of the Rouge Watershed
Jim Robb, directeur général, Friends of the Rouge Watershed. © WWF-Canada

Dans les vastes lieux naturels où poussent surtout des espèces indigènes, dame Nature arrive à rétablir les zones perturbées, et le fait mieux que nous. Mais en ville, c’est différent. À Toronto, on trouve des plantes envahissantes qui ont été introduites – accidentellement ou par des colonisateur.rice.s européen.ne.s – notamment des arbres comme l’érable de Norvège, l’orme de Sibérie, l’olivier de Bohême et le nerprun cathartique, et des plantes comme la cynanche, l’alliaire officinale et le phragmite (aussi appelée roseau commun). Nous avons aussi beaucoup d’oiseaux non indigènes, comme les étourneaux sansonnets et les moineaux domestiques, qui mangent les graines non indigènes et les dispersent par leurs excréments.

Les espèces envahissantes prospèrent dans les zones endommagées ou perturbées que l’on retrouve en grand nombre dans les villes et à proximité. Elles n’ont pas évolué en interaction avec les petits animaux et les insectes qui vivent ici, de sorte qu’elles ont le champ libre. Et comme elles ont moins de concurrence, elles se multiplient à l’infini.

Pourquoi ces plantes représentent-elles une menace si grande?

Les plantes envahissantes ont tendance à pousser de façon agressive et à supplanter les espèces indigènes. Par exemple, l’alliaire officinale dégage des substances chimiques qui sont nocives pour certaines variétés comme les trilles, les érythrones d’Amérique et d’autres fleurs qui poussent sur le sol des forêts d’érables indigènes, et elles sont difficiles à contrôler. Des plantes comme la cynanche ont une croissance très agressive aux côtés des arbres et des plantes indigènes, étranglant leur croissance.

Puis, il y a les phragmites qui poussent en hauteur et sont plutôt jolis : en l’hiver, ils prennent une teinte brun doré et sont ornés d’un épi en forme de queue de renard. Toutefois, ils prennent la place des quenouilles indigènes qui abritent le carouge à épaulettes, le rat musqué, le castor et des sauvagines. Comme les phragmites tolèrent le sel, ils supplantent les plantes indigènes le long des fossés routiers où ils s’accumulent. De plus, ces plantes produisent chaque année des stolons de plusieurs mètres qui, peu importe où ils touchent terre, forment de nouvelles colonies. Si une excavatrice creuse un sol où s’étendent des racines de phragmite et qu’un bout de racine reste coincé dans un pneu, celui-ci sera transporté par l’engin jusqu’à ce qu’il tombe, s’ancre et forme une nouvelle colonie. Il y a 35 ans, je ne connaissais qu’un seul endroit où il y avait des phragmites [dans ma région]. Aujourd’hui, ils poussent probablement dans 50 000 endroits. Les phragmites sont donc devenus un problème majeur.

Invasive phragmites growing in a wetland in Markham, Ont.
L’organisme Friends of the Rouge Watershed tente de contrôler la propagation des phragmites, également connus sous le nom de roseau commun, qui étouffent les espèces végétales indigènes et endommagent les habitats d’un milieu humide de Markham, en Ontario. © WWF-Canada

Laissées à elles-mêmes, ces plantes envahissantes se répandent et prennent le dessus sur la végétation indigène. Comment les arrêter?

Les produits chimiques, comme le glyphosate, sont certainement efficaces pour tuer ces espèces, mais les risques pour l’environnement et la santé sont trop importants. Nous [chez FRW] n’utilisons aucun produit chimique et espérons que si quelqu’un décide de le faire, ce sera avec une extrême parcimonie.

L’arrachage des plantes envahissantes peut également fonctionner, mais cela demande beaucoup de temps, de ressources et de détermination. Pour se débarrasser de l’alliaire officinale, il faut l’arracher avec ses racines pendant trois années consécutives, et il faut que les personnes qui pratiquent la randonnée restent sur les sentiers, dans la nature, pour éviter qu’elles introduisent les graines dans d’autres milieux avec leurs chaussures.

En toute honnêteté, nous ne consacrons pas beaucoup de temps à l’arrachage des espèces envahissantes. Bien sûr, si nous voyons une plante envahissante pousser sur un site où nous travaillons, nous la déracinons ou la coupons, selon la variété. Mais à long terme, nous pensons que la meilleure stratégie pour lutter contre les espèces envahissantes consiste à introduire davantage d’espèces indigènes et à étendre les espaces naturels.

Pourquoi cela?

Les espèces envahissantes prospèrent et se propagent dans des milieux où de petites parcelles d’habitat naturel sont fragmentées par des zones fréquemment perturbées ou des infrastructures comme des routes, des voies ferrées, des corridors hydroélectriques, des zones urbaines et des champs agricoles.

Lorsque vous agrandissez une zone naturelle en plantant beaucoup d’espèces indigènes, vous augmentez la quantité de semences indigènes par rapport aux semences envahissantes, et alors la loi de la probabilité fait son œuvre. La graine indigène aura plus de chances de se poser sur un bout de terre et le coloniser. Plus une zone naturelle est vaste, moins elle comporte de bordures extérieures par où les espèces non indigènes peuvent s’introduire et plus les espèces indigènes peuvent dominer.

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La cynanche, aussi connue sous le nom de dompte-venin de Russie, est une plante envahissante à croissance rapide qui, si elle n’est pas contrôlée, supplante les espèces indigènes dans la région du Grand Toronto. © WWF-Canada

Pouvez-vous donner un exemple de la façon dont cette approche a fonctionné pour vous?

Nous choisissons soigneusement des espèces de plantes et d’arbres indigènes qui sont les plus aptes à faire concurrence aux espèces envahissantes dont nous voulons nous débarrasser.

Nous avons réussi à faire reculer les phragmites en plantant des pins blancs indigènes à croissance rapide. Les phragmites sont des plantes qui ont besoin de soleil. Donc, quand les arbres atteignent une certaine hauteur, ils font de l’ombre aux phragmites qui cessent alors de croitre.

Cette approche semble exiger beaucoup de patience. Comment pouvez-vous savoir que cela fonctionne?

Nous faisons ce travail depuis plus de 36 ans. Sur les sites que nous avons restaurés, les espèces indigènes reviennent en grand nombre, et les populations d’espèces envahissantes diminuent à mesure que les espèces indigènes parviennent à maturité et que les processus naturels se rétablissent. J’ai donc bon espoir que si nous continuons à défragmenter le paysage et à créer des aires naturelles vastes et interreliées, les espèces envahissantes deviendront plus faciles à contrôler.

Comment peut-on appliquer cette approche chez soi?

Vous pouvez contribuer en cultivant des plantes, des fleurs, des arbustes et des arbres indigènes dans votre cour, ou même sur le balcon de votre appartement.

Je trouve très encourageant de constater la création croissante de pépinières de plantes indigènes accueillant non seulement les gens qui travaillent à la protection et à la restauration écologiques, comme nous, mais aussi les propriétaires de maisons et d’immeubles. Les plantes indigènes qu’on y trouve sont magnifiques, notamment une grande quantité de jolies fleurs sauvages dont la plupart sont des vivaces qui vivent de nombreuses années. Il est possible de planter une plante comme le liatris à épis à plusieurs endroits dans une ville. Ou encore l’asclépiade incarnate, qui pousse dans un sol non marécageux et attire les monarques et les bourdons.

Quels conseils donneriez-vous aux personnes qui souhaitent se lancer?

Vous pouvez vous renseigner sur les plantes indigènes de votre région et commencer progressivement. Parfois, il suffit de retirer une plante non indigène et de la remplacer par une espèce indigène.

Il y a tellement d’espèces indigènes parmi lesquelles choisir, et elles sont si jolies. La plupart d’entre elles sont des plantes vivaces, donc qui reviennent chaque année, et le coût initial est à peu près le même que celui d’une espèce non indigène typique, comme une pensée. Ce n’est pas catastrophique si vous souhaitez conserver certaines de vos plantes non indigènes préférées, mais en ajoutant davantage d’espèces indigènes, vous attirerez les papillons et les oiseaux indigènes et empêcherez la propagation des espèces envahissantes.

Vous obtiendrez ainsi une grande biodiversité et un plus beau jardin!

FRW est l’une des six organisations actuellement soutenues par le Programme de subvention nature et climat du WWF‑Canada, présenté en partenariat avec Aviva Canada.

Student volunteers plant native trees in a meadow near Toronto.
Des étudiant.e.s bénévoles plantent des arbres indigènes qui aideront Friends of the Rouge Watershed à lutter contre la propagation d’espèces envahissantes dans un écosystème menacé près de Toronto. © WWF-Canada

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