À la recherche des baleines nordiques : carnets de terrain d’une expédition de recherche à la baie Creswell, au Nunavut (1re partie)
Nous avions toujours les ours polaires à l’esprit, évidemment.
Pour gérer ce risque, nous avons établi un système de rotation de surveillance armée durant toute la nuit pour sécuriser la zone – et pendant que nous gardions l’œil ouvert pour les grands ours blancs, nous étions aussi à l’écoute de soupirs, de vocalisations ou d’observation de bélugas ou de narvals.
C’était mon tour de garde, et si du thé et du bœuf séché font une drôle de collation à trois heures du matin, c’était parfait pendant que j’attendais seul à l’affut de certaines des mammifères marins les plus remarquables au monde.
Et j’étais là à boire mon thé quand un groupe de narvals a commencé à nager vers le nord, très près de la berge de la baie Creswell, vis-à-vis notre campement sur le bord de l’ile Somerset, au Nunavut.
Tou.te.s les autres dormaient et, après avoir pris des notes et des photos, j’ai profité pendant près d’une heure de la vue que m’offrait ce groupe alors que le soleil se levait lentement sur les collines ocres.
Agissez maintenant pour protéger l’avenir de l’Arctique
Renouvelez votre appui cette année afin de protéger les espèces arctiques et leurs habitats.
Je m’appelle Jason Harasimo, spécialiste associé des écosystèmes arctiques pour le WWF-Canada, et je gère le programme du Fonds pour la conservation des espèces de l’Arctique qui existe depuis plusieurs années. L’été dernier, je me suis joins à une équipe de recherche sur le terrain subventionnée par le FCEA qui allait à la baie Creswell, à environ 100 kilomètres à l’ouest de l’ile de Baffin, pour obtenir des données de base sur le béluga de l’est du Haut-Arctique et de la baie de Baffin et le narval de la baie de Baffin qui visitent ces eaux chaque année.
L’objectif était de rechercher les impacts potentiels de l’augmentation de la pollution par le bruit sous-marin.
Ces deux populations utilisent Tallurutiup Imanga (le détroit de Lancaster) – une aire marine nationale de conservation jouxtant le passage du Nord-Ouest où le trafic maritime est considérable à cause de la mine de fer de Mary River de la compagnie Baffinland et des expéditions et des croisières en Arctique – comme route migratoire principale vers leurs aires d’hivernage dans la baie de Baffin, Pikialasorsuaq (la polynie des eaux du Nord) et le Groenland, une aire protégée.
Les baies et les estuaires de l’ile Somerset – 25 000 kilomètres carrés faisant partie de l’archipel Arctique et comptant uniquement des camps de chasse saisonniers – servent d’aire d’estivage importante. Ouverte sur la section centrale de l’est de l’ile, la baie Creswell est un refuge naturel pour les espèces marines car de grandes rivières drainent les vastes bassins versants de l’ile Somerset, répandant les sédiments riches en nutriments sur le fonds de l’océan et soutenant les proies essentielles des mammifères marins.
Fury Point forme la côte nord de l’entrée de la baie, ainsi appelée à cause du navire historique autrefois commandé par William Parry et plus tard abandonné ici par Henry Hoppner en 1825. (Plusieurs artéfacts du HMS Fury sont encore éparpillés au long de la rive.) Les eaux plus profondes de l’embouchure de la baie Creswell sont séparées du fond par Idlout Point, une étroite péninsule s’élançant du sud et ne laissant que le chenal Sarvak large de trois kilomètres pour pénétrer au plus profond de la baie.
Je savais qu’aller à Creswell serait une expérience exceptionnelle. Ce serait non seulement la première fois que je verrais un béluga ou un narval en personne, mais j’aurais aussi la chance d’en apprendre davantage sur eux grâce à une équipe d’expert.e.s incroyables : Greg O’Cory-Crowe, un chercheur renommé du Harbor Branch Oceanographic Institute de l’Université Florida Atlantic; Paul Galvan, un ornithologue de Californie; Maha Ghazal, une amie de longue date du temps où nous vivions à Pangnirtung, une communauté de l’ile de Baffin, et qui travaille maintenant pour le ministère des Pêches et des Océans (MPO), et son collègue Mark Gillespie, technicien de terrain chevronné du MPO.
Nous nous sommes rejoint.e.s au bureau du Programme du plateau continental polaire, où notre équipement et nos fournitures ont été empilés pour notre départ. Nous avions quelques jours pour terminer les préparatifs de dernière minute, calculer le poids du chargement avec les pilotes et déterminer combien de vols de bimoteurs seraient nécessaires pour nous transporter tou.te.s ainsi que notre équipement sur le site de travail.
Nous sommes arrivé.e.s au campement sur la rive ouest de la baie le 26 juin et nous n’avons pas perdu de temps pour nous installer : une tente pour l’équipement comme les hydrophones et les drones, une tente de cuisine avec un poêle Coleman, des biscuits, de la viande et des pâtes, puis nos tentes individuelles pour dormir. Tout s’est rapidement retrouvé à sa place et il ne manquait que les baleines.
Nous avons mis le temps d’attente à profit pour préparer deux zodiacs de 12 pieds munis de moteurs de 25 forces et nous avons visité quelques iles des environ (tout en guettant les baleines) en commençant par Umiavinitalik. Elle était couverte de calcaire blanc craie et était constellée d’os de baleine. Des huards et des eiders occupaient les rivages pendant que des phoques barbus guettaient de loin les étrangers que nous étions.
Nous avons aussi eu le temps d’explorer la rivière Kuksik sur la rive nord de la baie Creswell, un cours d’eau majeur qui a sculpté des falaises et des canyons impressionnants dans la roche. Nous nous sommes excité.e.s à la vue de bancs d’ombles chevaliers près de son embouchure, puis, en amont, nous avons regardé quatre bœufs musqués brouter jusqu’à ce que, sans prévenir, deux des plus grands bœufs foncent l’un contre l’autre, tête contre tête, à toute vitesse. Le son a fait écho.
Lorsque nous sommes revenu.e.s au campement, nous avons aperçu nos premières baleines. Nous avons passé la soirée à observer et à documenter chaque mouvement de béluga. Nous avons utilisé des drones pour capter ce qui ne pouvait être vu au niveau de la mer – nous étions agglutiné.e.s autour de l’ordinateur portable pour voir l’activité incroyable qui avait lieu tout près dans l’eau et c’était très stimulant.
Durant les deux jours suivants, le vent nous a tenu.e.s près du campement. Un hydrophone a été déployé pour écouter en continu les vocalisations des baleines alors que nous passions pas mal de temps à amarrer nos tentes au sol ou, dans certains cas, à les remonter. Mark, Paul et moi avons aussi remonté la rivière Union jusqu’au lac Stawell. Nous avons observé un couple de plongeons catmarins et leur caneton, et nous avons pêché de beaux ombles chevaliers dans la rivière pour le repas.
Quand le vent nous l’a enfin permis, nous sommes retourné.e.s sur les iles. En faisant le relevé des environs, nous avons identifié des os de baleines, dont une vertèbre d’une jeune baleine boréale. J’espérais en voir une car elles me fascinent, mais j’étais en pleine étude sur les narvals et les bélugas et je devais rester concentré. Et cela s’est révélé la bonne stratégie.
Nous avons aperçu des narvals, avec leur défense dans les airs, des souffles énormes et beaucoup de mouvement. Greg et Mark se sont aventurés sur un kayak gonflable avec un hydrophone dans l’espoir de pouvoir relier des vidéos du drone avec des vocalisations de l’hydrophone sous-marin. À ce moment, il y avait de nombreuses baleines dans l’eau et nous avons eu de la chance, car un groupe a nagé directement à côté de leur kayak, une expérience dont ils se souviendront longtemps, j’en suis certain.
Ne manquez pas la deuxième partie.
NOTE : les vocalisations des narvals arrivent à la moitié de la vidéo © Greg O’Cory-Crowe