Aussitôt arrivés à Hartley Bay, on se rend compte qu’on débarque dans une communauté de héros. Quand le traversier Queen of the North a fait naufrage après avoir heurté l’île Gil en 2006, les habitants de ce petit village côtier n’on pas hésité une seconde. Malgré l’heure tardive (minuit) et la météo (hasardeuse), ils ont sauté à bord de leurs embarcations pour filer vers le navire en perdition et ont réussi à sauver tous les passagers sauf deux.

Grand Ours_DSC_1935« Dites NON aux pétroliers » © Steph Morgan

Nous avons rencontré Danny Danes qui pilotait le premier bateau sur les lieux du naufrage. Mais il n’en a parlé qu’à la fin de notre conversation, trop occupé qu’il était à exposer les besoins de sa communauté.
Nous étions arrivés à Hartley Bay en bateau-taxi, à temps pour rejoindre notre groupe de Bluewater Adventures et le voilier Island Odyssey qui allait nous héberger pour quelques jours. Le temps était couvert, mais en dépit de la bruine et du brouillard, la beauté des paysages nous avait émerveillés tout au long de la traversée depuis Kitimat.
Hartley Bay est un petit village de pêcheurs Gitga’at et Danny Danes, un des aînés de la communauté, nous a parlé des traditions séculaires de son peuple, de leur mode de vie fondé sur leur extraordinaire rapport avec la nature, en particulier leurs récoltes de poissons, de crustacés et de mollusques dans les eaux qui baignent leur rivage. Comme nous l’a expliqué Danny, « c’est notre réfrigérateur. À marée basse, nous pouvons récolter des moules et des crabes, tandis qu’en mer, nous pêchons le flétan et le saumon. »

Grand Ours_DSC_1943© Steph Morgan

Quand on lui parle du projet d’oléoduc Northern Gateway d’Enbridge qui entraînera le passage de superpétroliers dans ces eaux où l’Island Queen a fait naufrage, l’aîné s’agite : « Ça va détruire notre mode de vie, nous allons tout perdre! » Il évoque tous ces villages qu’on a dû déserter en Alaska après la catastrophe de l’Exxon Valdez – vingt ans plus tard, une région de même superficie que le pays du Grand Ours souffre encore des effets dévastateurs de ce déversement de pétrole. À Hartley Bay, l’opposition au projet d’Enbridge est évidente. Le slogan « Dites non aux pétroliers » s’affiche un peu partout, ici, et même sur le chandail d’un jeune homme, où il s’accompagne d’une belle œuvre d’un artiste local illustrant une princesse dont chaque œil laisse couler une larme.
Un début de voyage qui donne à réfléchir… Lorsque nous avons quitté l’anse de Hartley Bay, je ne pouvais m’empêcher de penser à Danny et à sa communauté. Avons-nous vraiment le droit de mettre en péril leur mode de vie? Comment pouvons-nous être si sûrs que notre technologie est assez parfaite pour empêcher tout risque d’accident? N’avons-nous pas déjà fait la même erreur?
Alors que nous naviguions vers le sud dans le Whale Channel (chenal de la Baleine), deux événements se sont produits qui m’ont fait mieux comprendre l’importance des enjeux du Grand Ours. À environ 45 minutes du village, nous avons vu le jet d’une baleine qui soufflait. Notre capitaine, Neil, a manœuvré le voilier pour nous permettre d’observer deux rorquals à bosse qui s’ébattaient dans les flots. Elles ne cessaient de sauter hors de l’eau pour retomber dans de grandes gerbes d’écume – c’était magique, comme si Danny nous les avait lui-même envoyées.

Grand Ours_DSC_2060© Steph Morgan

Un peu plus tard, alors que nous discutions sur le pont, le poste de radio a lancé : « Garde côtière de Prince Rupert, Garde côtière de Prince Rupert, Garde côtière de Prince Rupert. Avertissement de temps violent! » Le bulletin météo s’est poursuivi par des alertes de bourrasques importantes dans certaines voies de navigation précises.
J’ai demandé à Neil s’il s’agissait des voies de passage des pétroliers. « Oh! oui, c’est bien là, a-t-il répondu. C’est là. »