Northern Gateway : nouvelles conditions, pas de solution

La première ministre de la Colombie-Britannique, Christy Clark, imposait récemment cinq conditions pour que son gouvernement donne son aval au projet de construction de l’oléoduc Northern Gateway. La province demande notamment sa juste part des revenus générés par l’oléoduc et de meilleures mesures de sécurité pour éviter les déversements. Malheureusement, ces conditions passent à côté de la marque.

La question au coeur du débat n’est pas la capacité de réagir rapidement en cas de déversement, mais plutôt de décider s’il faut autoriser le passage de grands navires pétroliers transportant du pétrole lourd et d’un pipeline bitumineux dans cette région.

Le projet prévoit la construction de deux oléoducs jumeaux sur une distance de 1170 km, afin d’acheminer le pétrole lourd des sables bitumineux de Bruderheim en Alberta au port de Kitimat en Colombie-Britannique. De là, le bitume dilué toxique serait chargé dans d’immenses navires pétroliers et chaque année, l’on verrait plus de 200 de ces navires descendre d’étroits fjords pour rejoindre des eaux parmi les plus houleuses de la planète, afin d’alimenter le marché asiatique.

Une majorité de citoyens de ce pays ignore probablement que le trajet prévu du pipeline Enbridge traverse un paradis écologique. La région marine du Grand Ours compte l’une des dernières forêts pluviales tempérées au monde et est le seul endroit sur terre où l’on trouve l’ursus americanus kermadoi; cet ours « noir » au pelage blanc, appelé ours Kermode ou Ours Esprit dans la légende amérindienne, est plus rare encore que le panda géant. Le rorqual à bosse, l’épaulard et plusieurs autres espèces de cétacés vulnérables ou menacées prospèrent dans les eaux froides et calmes de cette région fabuleuse. On y trouve également les cinq espèces de saumon du Pacifique, et une industrie de la pêche prospère et durable, de même qu’une industrie du tourisme et de la foresterie florissante. Difficile de croire que quiconque choisirait cet endroit précis pour faire passer un oléoduc. Difficile d’imaginer que quiconque tolérerait un tel risque dans un endroit pareil. Et pourtant.

Et lorsqu’on parle des risques de fuite, d’accident, de déversement, la question n’est pas de savoir si, mais bien quand et où la catastrophe aura lieu. Et lorsque l’inévitable se sera produit, nous assisterons à l’empoisonnement des populations de baleines et de saumons essentiels à l’économie de la région, et à l’effondrement de l’un des plus rares et plus extraordinaires écosystèmes de la Terre.

Au Fonds mondial pour la nature (WWF), nous croyons qu’il n’y a tout simplement pas de place pour les oléoducs de pétrole lourd et de bitume et les pétroliers qui les transportent dans cette région de la côte nord de la Colombie-Britannique. Pas maintenant, ni plus tard, jamais.

L’engagement du WWF dans cette campagne ne vise pas seulement l’interdiction du projet d’oléoduc Northern Gateway. Nous voulons qu’il soit interdit – sur une base permanente, claire et exécutoire – aux pétroliers transportant du bitume et du pétrole lourd de circuler dans la zone côtière du nord de la Colombie-Britannique. Il faut pour cela adopter un plan rigoureux des utilisations de l’océan qui prévoie des mesures exécutoires de conservation et de gestion afin de protéger l’extraordinaire patrimoine écologique, culturel et économique de cette région. À l’échelle nationale, cela suppose l’adoption par le Canada d’une stratégie énergétique qui intègre la protection de la nature et des intérêts à long terme du Canada, et assure le passage vers une économie misant sur les énergies renouvelables.

C’est ce que nous voulons pour la région du Grand Ours, pour notre pays et pour les générations à venir.

Marie-Claude Lemieux est la directrice pour le Québec du WWF-Canada (Fonds mondial pour la nature)
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