Rencontre avec maître grizzly

Le grizzly est sorti du bosquet en trottinant. « On dirait bien un mâle de six ans », a murmuré Tim, le zoologue du groupe.
Le mâle a poursuivi son chemin le long du sentier des ours, tandis que nous l’observions bouche bée. Je ne sais pas si c’est Tim qui a une perception extrasensorielle ou bien si l’ours l’avait entendu nous parler des habitudes des grizzlys, mais il n’a pas tardé à nous faire la démonstration d’un début de journée typique dans la vie d’un grizzly.
D’abord, il a cueilli au passage et mangé quelques pommettes, avant de trottiner résolument vers un arbre et d’entreprendre une séance de grattage en règle. Apparemment, le conifère était parfait pour ce genre d’opération, car nous y avions trouvé d’autres poils d’ours dans l’écorce quelques minutes plus tôt. Pour l’ours comme pour nous, il n’y a rien comme de se gratter quand ça pique!
c. Andrew S. Wright / WWF-Canada
À cent mètres à peine de l’endroit où nous étions cachés, le grizzly a poursuivi sa petite routine, se rapprochant de la rivière et de son déjeuner : le saumon. Les pommettes n’étaient donc que le hors d’œuvre. N’écoutant que notre enthousiasme, nous avons armé nos appareils photo et ajusté nos jumelles, et nous nous sommes engagés à la suite du grizzly, les pieds s’enfonçant dans la boue et le nez plein de l’odeur fétide du poisson en décomposition. Rien n’allait nous arrêter maintenant!
Osant à peine respirer, nous nous posions tous la même question : le grizzly se jetterait-il à l’eau? Et plouf!
J’ai eu la chance d’observer des cerfs traverser des rivières à la nage et de les admirer tandis qu’ils ont l’air de glisser à la surface de l’eau, mais j’ai surtout toujours voulu voir un ours nager. L’ours est un fameux nageur, dont les épaules vigoureuses feraient pâlir d’envie les plus grands athlètes olympiques. Mon jour de chance était arrivé!
Un saumon entre les mains, le grizzly a fait quelques pas puis il s’est jeté à l’eau et a nagé jusqu’à la berge opposée de la rivière, où il s’est installé pour déguster un solide déjeuner de maître nageur : saumon cru, accompagné de saumon cru.  (La revue Scientific American a publié l’été dernier une série très intéressante en quatre volets sur le grizzly et sa dépendance au saumon dans la région du Grand Ours.)
Poussés par nos guides, nous avons rejoint les Zodiacs pour entreprendre le plus doucement possible la descente de la rivière et poursuivre notre observation. Le grizzly nous a observé lui aussi, avant de retourner à l’eau et de se laisser entraîner par le courant et de nous dépasser tranquillement, la tête effleurant la surface, le regard errant sous l’eau à l’affût de la suite de son déjeuner. Son regard a croisé le mien lorsqu’il a dépassé notre canot. Ouf!  Quelle émotion!
Je n’avais pas assez d’yeux pour tout voir, la magnificence de l’estuaire, la beauté sauvage des ruisseaux et des rivières, les forêts et les montagnes environnantes. Un endroit assez vaste pour un grizzly. Et un moment magique pour moi en cette journée d’automne passée dans la région du Grand Ours.