Quand le castor dit bonjour au saumon – et que des passes à poissons enrichissent leur relation
Avez-vous déjà regardé un barrage de castor de près? Les troncs et les branches sont tissés pour former un treillis s’étirant d’une rive à l’autre. Capables de subir la pression de toute l’eau qu’ils retiennent, ces barrages sont remarquablement robustes. Mais si nous savons tou.te.s que les castors sont d’ingénieux constructeurs, leur relation avec les poissons comme le saumon est souvent incomprise. Et ce manque de compréhension par les humains peut en venir à nuire aux deux espèces.
C’est pourquoi le WWF-Canada travaille avec des partenaires pour installer des dispositifs permettant aux poissons de traverser les barrages de castor à Terre-Neuve et au Labrador. Mais pour comprendre comment fonctionnent ces installations, nous devons en apprendre plus sur les barrages eux-mêmes!
Les castors : ingénieurs des écosystèmes
Les castors travaillent de nuit pour renforcer leur barrage, parce qu’un barrage étanche est nécessaire à la survie de leurs petits. Les parents et leurs petits utilisent le côté où le niveau de l’eau est élevé pour s’alimenter en sécurité et entrer et sortir de leur hutte sans se faire détecter, grâce à des passages submergés.
Pour l’œil non entraîné, les activités du castor – l’abattage d’arbres, le creusage de tunnels, la construction de huttes et de barrages – peut sembler perturbatrice et désordonnée. Mais si on utilise la lentille écologique, on comprend qu’ils créent des habitats complexes et nécessaires. Ce processus habile est la raison pour laquelle le castor a reçu le titre d’« ingénieur des écosystèmes ».
Si vous avez déjà visité un étang de castor, il est possible que vous ayez remarqué qu’il était entouré de végétation luxuriante – une bande verte surgit derrière le barrage et dans l’habitat autour de l’étang (appelé la zone riveraine). Si vous pouviez voir sous l’eau, vous observeriez de jeunes truites et saumons en abondance. Les étangs de castor sont aussi une escale pour plusieurs espèces, dont des oiseaux chanteurs rares et menacés. Il y a tellement d’espèces qui dépendent directement de l’habitat des castors pour leur survie que ces mammifères sont considérés comme une espèce clé, ce qui veut dire qu’ils jouent un rôle nécessaire dans le maintien d’écosystèmes entiers.
Les castors ont aussi évolué en compagnie des espèces de poisson locales partout au Canada (et généralement dans toute leur aire de répartition). Dans leur aire de répartition indigène, les barrages de castor créent des environnements complexes utilisés par les poissons. En augmentant la quantité de débris de bois dans les ruisseaux et en ralentissant le mouvement de l’eau, les étangs de castor sont des refuges pour les jeunes saumons. Les matériaux végétaux et les autres débris pris dans l’étang conduisent aussi à une plus grande abondance d’insectes, soit une abondance de nourriture dans un environnement stable et protecteur. Il en découle que les jeunes poissons sont plus gros et ont un meilleur taux de survie, ce qui mène au rétablissement de leur population.
Pas de pause pour les castors
Les castors fournissent des tonnes de bénéfices écologiques et de services écosystémiques à la nature et aux humains, comme la purification de l’eau, la séquestration du carbone (par la création de milieux humides et la promotion de la végétation aquatique), et en amortissant les phénomènes météos extrêmes. Malgré cela, ils sont souvent considérés comme une nuisance quand leurs activités d’ingénierie empiètent sur les infrastructures humaines.
Le retrait des barrages de castors est encore une pratique commune. Parfois, cela arrive parce qu’un étang inonde un chemin de fer ou une ferme. Mais d’autres fois, les barrages de castor (et les castors eux-mêmes) sont retirés des écosystèmes parce qu’on croit qu’ils empêchent la migration des saumons dans un cours d’eau. S’il est très rare que le passage des poissons soit bloqué durant toute la période migratoire, le saumon peut être retardé de plusieurs jours ou semaines à cause de la profondeur insuffisante de l’eau – dont ils ont besoin pour se propulser au-delà des barrages – ou parce qu’ils peuvent hésiter à entrer dans une zone au cours d’eau réduit.
Cependant, c’est la perception de ce risque qui conduit au retrait des barrages de castor et, malheureusement, à la dégradation générale de l’habitat. Quand les barrages sont retirés, l’étang/le milieu humide est drainé et les jeunes poissons, qui ont besoin des eaux calmes en amont du barrage, sont vite emportés vers des eaux à courant rapide
Des installations pour sauver le courant et les poissons
Le WWF-Canada travaille à mettre en place une solution qui conservera les écosystèmes générés par les castors, tout en s’occupant de l’enjeu du passage des poissons. Grâce au financement du Fonds pour la restauration côtière de Pêches et Océans Canada et l’aide de nos partenaires – le NunatuKavut Community Council Inc (NCC), Wood (une entreprise de génie conseil), la Fédération du Saumon Atlantique, la Salmonid Preservation Association for the Waters of Western Newfoundland, la province de Terre-Neuve-et-Labrador et le Beaver Institute – nous avons déjà installé quatre passes à poissons dans des ruisseaux de Terre-Neuve-et-Labrador, le plus récent au NunatuKavut.
Pour les conducteur.rice.s qui passent à proximité, via la route Trans-Labrador, le tout ressemble probablement à un drôle d’appareil au milieu d’un barrage de castor. Mais les équipes du NCC et du WWF-Canada trouvent cette vue bien agréable! Nous étions tou.te.s très enthousiastes d’essayer une passe à poissons sur le ruisseau à saumon Shinneys, qui avait été identifié par la communauté comme un habitat et un lieu de pêche important.
Ces passes à poissons offrent une route pour les saumons et autres poissons s’ils ne sont pas capables de sauter par-dessus le barrage. Cela peut être particulièrement intéressant durant les périodes chaudes et sèches, lorsque l’eau n’est pas assez profonde pour permettre aux poissons d’acquérir suffisamment de vitesse pour sauter, ou quand la rivière a été modifiée par des ponceaux, des déversoirs ou des ponts qui créent des « points de pincement » dans le cours d’une rivière. (Les castors ne sont pas un problème dans les conditions naturelles. Ce sont les infrastructures humaines qui rendent difficile le passage des poissons.
À quoi ressemblent ces passes à poissons?
Ce dispositif est une boîte renforcée avec un large tuyau qui traverse le barrage. L’ouverture de la boîte est calculée pour libérer de l’eau à une vitesse qui attire le saumon et lui permet de passer sans se blesser. Le tuyau continue jusqu’à ce que l’eau soit suffisamment profonde pour que les castors ne le bouchent pas du côté en amont (il y a aussi une cage qui éloigne les castors).
Nous installons le dispositif en faisant une faible entaille dans le barrage. Une fois que nous avons quitté le site, les castors réparent rapidement le trou, ce qui solidifie le dispositif en place. Cette tactique nous économise du temps et de l’argent, parce qu’au lieu de retirer des barrages plusieurs fois par années, nous nous associons directement à la nature. Ainsi, pendant que nous dormons sagement chez nous, les castors font gratuitement l’entretien du projet, 24 heures par jour, 365 jours par année! C’est vraiment une situation gagnante pour les deux parties.
Nous allons continuer d’installer ces dispositifs, et nous espérons que d’autres se joindront à nous pour s’assurer que les castors et les poissons continuent de cohabiter comme la nature l’a voulu!