Plus qu’un déversement de données : dans les coulisses de l’Évaluation nationale des déversements issus des navires du WWF-Canada

La toute première Évaluation nationale des déversements issus des navires a constaté que les bateaux génèrent et déversent annuellement des milliards de litres de rejets dangereux – qui, dans leur ensemble, contiennent des métaux lourds, des composés cancérigènes, des hydrocarbures, des microplastiques, des pathogènes, des nutriments, des produits chimiques toxiques et d’autres polluants – dans les aires marines protégées (AMP) du Canada.

Pour vous donner un aperçu des coulisses des données sur les déversements, nous avons parlé à Sam Davin, spécialiste Conservation marine et navigation du WWF-Canada, l’auteur principal de ce rapport.

two polar bears in the water with a ship behind them
© Ondrej Prosicky / Shutterstock

Pourquoi n’y avait-il pas d’information disponible sur la quantité et la localisation des rejets avant ce rapport?

Les « rejets des activités de routine » comme les eaux grises, les eaux usées, les eaux de cale et les eaux de lavage des épurateurs ont historiquement profité d’un laisser-passer de la part des législateur.rice.s. Et jusqu’à récemment, le calcul de l’ampleur et de la distribution des rejets à l’échelle nationale était entravé par les limites de la technologie et l’indisponibilité des données.

Comment avez-vous comblé ce manque de données?

Premièrement, nous avons identifié les navires actifs en eaux canadiennes en 2019 en utilisant les données du Système d’identification automatique (SIA). Il relie chaque navire à une série presque continue de lieux horodatés, nous permettant de reconstruire leur trajet, leur vitesse et la distance parcourue. Nous avons croisé ces données avec les attributs spécifiques de chaque navire – type de bateau, puissance du moteur, vitesse de référence, quantité de membres d’équipage et de passager.ère.s, et d’autres variables qui influencent la production de rejets.

Cette information a alimenté notre modèle numérique maison pour calculer la quantité de rejets générés par chaque bateau durant 12 mois.

Quel constat vous a le plus surpris?

Nous avons trouvé que les navires génèrent annuellement 147 milliards de litres de rejets en eaux canadiennes. Mais ce qui m’a le plus surpris, c’est la quantité de ces rejets – environ 14,7 milliards de litres – qui sont produits dans les eaux que le Canada a explicitement réservées pour la conservation à long terme de la nature.

© Timothy Eberly via Unsplash.

Quels sont les facteurs principaux qui influencent la quantité de rejets produite par les bateaux?

Il y a plusieurs facteurs, allant du type de navire, sa grandeur et le nombre de personnes à son bord, jusqu’à des facteurs moins évidents comme les conditions de la mer, les itinéraires et les politiques de chaque armateur.rice. Le type d’activités ayant lieu sur le navire compte aussi. Par exemple, les bateaux de croisière avec des piscines et de grandes buanderies et cuisines produisent plus d’eaux grises par personne que les cargos. Mais le facteur unique qui influence le plus la quantité de rejets produite est la présence ou non d’épurateurs.

Comment pouvons-nous savoir que les rejets générés dans les aires protégées sont réellement déversés à ces endroits?

Ce que nous avons développé est un modèle d’évaluation de la quantité de rejets générés lorsque les navires se trouvent dans les aires protégées

Nous avons un haut niveau de confiance dans le fait que lorsqu’un bateau utilise des épurateurs dans une aire protégée, les eaux de lavage toxiques qui ont servi à nettoyer les gaz d’échappement des moteurs et des chaudières sont relâchées directement dans la mer – parce que c’est ainsi que fonctionne la grande majorité des systèmes d’épuration. Les eaux de lavage des épurateurs comptent pour 97 % de tous les rejets dans notre analyse.

D’autres types de rejets, comme les eaux usées et les eaux grises, peuvent être déversés en mer ou temporairement emmagasinés dans des réservoirs de rétention qui peuvent être vidés à des intervalles plus ou moins réguliers. En termes de quantité rejetée en mer, les données publiées par le programme de surveillance des navires de croisière de l’Alaska suggèrent qu’environ 95 % des eaux usées et des eaux grises sont déversées. Pour les eaux de cale, les études suggèrent qu’environ 75 % de la production est déversée.

Mais toute quantité de rejets déversée dans les AMP est de trop.

view of whale from boat
© Shutterstock

Ces nombres nous donnent une vision prépandémique des déversements. Comment projetez-vous les futures tendances?

La demande pour le fret et les croisières était à un sommet jamais vu avant la pandémie – et cette tendance va continuer lors du retour à la normale. La crise climatique ouvrira aussi l’Arctique à une hausse de la navigation.

Sans prise de mesures règlementaires, la quantité de rejets produite et déversée dans l’océan – en incluant les aires protégées que le gouvernement s’est engagé à plus que doubler pour atteindre 30 % d’ici 2030 – est appelée à augmenter.

Quelles sont les plus grandes entraves à la protection des AMP et des espèces de la menace des rejets?

L’incohérence et l’ambiguïté des lois est le plus grand problème auquel nous sommes confronté.e.s, en plus du manque d’installations pour recevoir la quantité d’eaux usées produite par les grands navires à passager.ère.s dans des endroits comme l’Arctique. Une interdiction détaillée des déversements dans les AMP aiderait à réduire la pollution dans les zones qui ont le plus besoin de protection.

La sensibilisation est aussi un enjeu. Le déversement de rejets issus des activités de routine dans les eaux protégées du pays n’a jamais été interdit. Il faut donc conscientiser les armateur.rice.s au risque associé au déversement de rejets (même les rejets traités) dans les AMP, et réformer des pratiques institutionnelles enracinées sera un défi.

FAITES-VOUS ENTENDRE

Le gouvernement canadien ne devrait pas dire d’une AMP qu’elle est protégée si des déversements y sont permis. Dites au gouvernement d’interdire le déversement de TOUS les rejets.