Le vrai cout d’une mine au Nunavut : « Et si je ne pouvais plus enseigner notre mode de vie à mes enfants? »

Exploitée par une compagnie minière appelée Baffinland, la mine Mary River est une des plus riches réserves de minerai à haute teneur en fer du monde. Située tout au nord de l’ile de Baffin au Nunavut, la mine produit 4,2 millions de tonnes de minerai chaque année. En 2024, cette quantité augmentera à 6 millions.

L’automne dernier, le gouvernement canadien a rejeté la proposition de Baffinland d’étendre davantage ses activités. Les plans de la compagnie auraient plus que doublé la production de la mine et inclus la construction d’un chemin de fer de 110 km jusqu’au port à proximité. Bien que la décision du gouvernement ait représenté une victoire pour plusieurs groupes inuits de la région – qui se sont opposé à la proposition – les 1700 résident.e.s de Pond Inlet vivent toujours avec les conséquences d’avoir une mine de fer pour voisine.

Un Inuit debout et ses enfants qui jouent dans la neige en arrière-plan.
Pond Inlet, NU © Enookie Inuarak

Enookie Inuarak est l’un d’entre eux.elles. Ancien vice-président de l’organisation de chasse et de trappe locale (la Mittimatalik Hunters & Trappers Organization), l’un des groupes opposés au plan d’expansion, il nous a parlé de la façon dont la mine a affecté la communauté depuis son ouverture en 2015.

Comment décririez-vous Pond Inlet?

C’est une des communautés nunavoises les plus nordiques, au-delà du cercle arctique. En ce moment, c’est la saison de l’obscurité. Nous n’avons pas vu le soleil depuis des semaines. Cette région est une autoroute pour les espèces marines au printemps et en été – et même en hiver.

Nous voyons des espèces comme les baleines boréales, les narvals, les bélugas, les ours polaires, différentes sortes de phoques et tout plein d’oiseaux. Nous sommes toujours très actif.ve.s en termes de prélèvements de subsistance. Nous en dépendons pour nous nourrir et nous vêtir. C’est une partie très importante de notre diète, particulièrement le narval, différentes sortes de phoques, le caribou et l’omble chevalier.

De quelle façon votre communauté a-t-elle été affectée par l’ouverture de la mine par Baffinland en 2015?

C’est tellement différent maintenant. Tout d’abord, nous avons commencé à remarquer que les espèces marines n’étaient plus aussi présentes qu’avant. Puis, nous devons dorénavant voyager plus longtemps et plus loin pour chasser, ce qui nous coute plus cher d’essence. Nous avons aussi commencé à dépenser davantage sur de la nourriture achetée au magasin.

Mais la diminution des espèces marines n’est qu’une des premières répercussions que nous avons observées. Nous récoltons maintenant moins d’omble chevalier durant l’été. Nous voyons moins de phoques et de narvals, et même moins d’oiseaux. Il y a constamment des bateaux qui vont et viennent, entre deux et cinq par jour, et il y a une pollution sonore permanente. Même avant qu’il y ait des bateaux de minerai, lorsqu’un bateau quelconque qui passait, nous remarquions que les espèces marines étaient effrayées et s’éloignaient. Maintenant, nous voyons constamment des navires, et je crois que c’est la pollution sonore que les espèces évitent.

Des motoneiges et des traineaux sur la banquise devant les maisons de la communauté sur la côte en surplomb.
Pond Inlet, Nunavut,

Si ces espèces venaient à disparaitre, qu’est-ce que cela signifierait pour votre façon de vivre et votre communauté?

Sans ces espèces, nous perdrions aussi nos chasseur.se.s et pêcheur.se.s. Le revenu tiré de ces activités serait perdu, donc ces personnes seraient forcées de trouver d’autres façons de gagner leur vie. Ce serait similaire à la perte des agriculteur.rice.s plus au sud : imaginez qu’il n’y a plus de steaks, d’œufs, de bacon, etc. Ce serait une catastrophe et des traditions immémoriales se perdraient.

Cela affecterait définitivement notre santé, parce que la nourriture que nous récoltons maintenant est très saine. Par exemple, des narvals nous tirons beaucoup de la vitamine C dont nous avons besoin et sans eux, nous en aurions beaucoup moins. Si nous devions dépendre uniquement de la nourriture achetée au magasin – qui ne parvient à Pond Inlet par bateau qu’une fois par an – cela aurait des répercussions majeures.

Quel rôle avez-vous joué dans le combat contre les plans d’expansion de la mine?

Bon, la Mittimatalik Hunters & Trappers Organization représente les Inuit de la communauté ainsi que les droits de chasse inuits et l’environnement. Au cours d’une de nos rencontres générales annuelles, quelqu’un a déposé la motion de ne pas appuyer l’expansion de la mine à cause des effets que nous avons déjà constatés. Je pense que nous avons joué un rôle prépondérant pour empêcher l’expansion – nous étions la voix de la communauté, nous avons participé aux audiences et nous sommes même allé.e.s à Ottawa pour défendre notre cause. Nous avons parlé de la réalité, de ce que nous voyions et des changements que nous avions constatés.

La compagnie minière n’arrêtait pas de dire qu’il n’y aurait pas d’effets négatifs, mais cela n’avait aucun sens puisque nous en constations déjà les effets. Je crois que nous avons définitivement influencé la décision du gouvernement. Nous sommes très heureux.ses que le gouvernement nous ait écouté.e.s.

Comment vous représentez-vous l’avenir? Est-ce que votre communauté et les espèces qui vivent autour peuvent coexister avec cette mine?

Eh bien, j’espère que les espèces marines vont s’adapter jusqu’à un certain point à ce nouveau trafic maritime constant. Mais c’est difficile d’y croire avec ce que nous voyons à l’heure actuelle. Par exemple, des familles d’ici sont sorties chasser sur le territoire et sont revenues les mains vides. C’est triste. Et ça fait mal. Donc, je ne sais pas de quoi ça va avoir l’air.

Scène de pêche sur glace inuite, autour d’un trou dans la banquise, trois personnes se tiennent debout et une jeune femme tient un poisson.
Pêche blanche près de Pond Inlet, Nunavut © Enookie Inuarak

Maintenant, avec la hausse de production à 6 millions de tonnes en 2024, il y aura plus de trafic maritime et la saison de navigation durera plus longtemps. Déjà l’an dernier, nous avons vu des bateaux passer lorsque la glace se formait et les chasseur.se.s ont remarqué que les phoques étaient complètement partis quand les bateaux ont arrêté de venir.

J’espère que la compagnie minière est capable d’écouter les Inuit et de travailler avec les gouvernements et les différentes organisations. Parce que les impacts négatifs sur la chasse et le maintien de la culture inuite pourraient être irréversibles. Et si ça continue d’arriver, que recevons-nous en compensation? Nous ne recevons presque rien en retour.

Ça pourrait être dévastateur à long terme. Que va-t-il arriver si je ne peux pas enseigner notre mode de vie à mes enfants, et que les enfants de mes enfants n’apprennent pas ce que mon père m’a transmis?

Ça me fait peur d’y penser.

Cet article a été publié à l’origine dans le dernier numéro de The Circle du WWF Arctique sous le titre « Leave it in the Ground ».