Le mont de mer Bowie, la zone marine la moins bien protégée

Poissons, coraux, éponges et autres formes de vie marine sont légion sur les monts de mer, ou monts sous-marins. Le mont de mer Bowie, que la nation Haida appelle Sgaan Kinghlas – ce qui signifie « être surnaturel qui veille » – s’élève à plus de 3 000 mètres du fond de la mer et son sommet se hisse à tout juste 25 mètres sous la surface de l’océan Pacifique. La vie marine foisonne sur le mont Bowie, car la proximité de son sommet avec la surface constitue une zone d’eaux peu profondes et prolifiques en pleine mer, dont profitent diverses espèces marines.
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© Neil McDaniel / WWF-Canada, jeune sébaste aux yeux jaunes se reposant dans une crevasse du mont de mer  Bowie.

Le Fonds mondial pour la nature travaille depuis plus d’une décennie à assurer la protection du mont Bowie et de deux monts de mer voisins. Nous avons célébré en 2008 la création officielle de la zone marine protégée du mont de mer Sgaan Kinghlas-Bowie – soit 10 ans après que la région ait été identifiée comme une « zone d’intérêt » – et avons apprécié que notre rôle dans ce processus soit reconnu. Cependant, nous voulions également nous assurer que cette protection soit bien concrète. Aussi, depuis cinq ans travaillons-nous avec nos collègues du Conseil consultatif sur le mont sous-marin Sgaan Kinghlas-Bowie à l’élaboration d’un plan de gestion rigoureux – essentiel pour toute zone protégée. Un plan de gestion doit définir les caractéristique écologiques précises devant être protégées, fixer les objectifs de conservation, prévoir les mesures d’application, assurer la surveillance et le suivi des activités, et coordonner l’ensemble des normes et exigences régissant les diverses utilisations et activités entourant la zone protégée ainsi que les exigences de nature légale.
Selon les règles du gouvernement fédéral, le plan de gestion doit être complété dans les deux ans suivant l’établissement d’une zone marine protégée (ZMP). Nous sommes maintenant en 2013, et il y a donc 5 ans que le mont de mer Bowie a été ainsi désigné. Ce qui soulève la question suivante : qu’est-ce qu’on attend? Le WWF-Canada a posé la question au commissaire à l’environnement l’an dernier, soit au 4e anniversaire de la création de la ZMP du mont Bowie. Or, rien dans la réponse que nous avons obtenue n’abordait ce que nous savons maintenant être la raison du report : un casse-tête juridique qui pourrait bien mettre en péril la protection promise que nous pensions avoir obtenue.
Je m’explique. La dégradation de l’habitat constitue la principale menace au mont sous-marin, et les activités telles que la pêche et la navigation peuvent causer du tort à l’habitat. Il se trouve que l’un des éléments clés de la protection du mont Bowie était un accord sur la gestion de la pêche dans la ZMP, dans le cadre duquel le mont de mer a été divisé en trois sections : la pêche devait être interdite dans deux de ces trois sections, et la troisième devait faire l’objet d’une pêche contrôlée de la morue charbonnière. Nous avions accueilli avec enthousiasme le projet de recherche de l’association canadienne de la morue charbonnière afin d’évaluer l’impact de leurs casiers sur les habitats et espèces des eaux profondes entourant le mont Bowie. Le WWF-Canada a également contribué au resserrement de l’évaluation de l’habitat exigée pour la mise en place d’une pêcherie durable et certifiée MSC de la morue charbonnière.
Tous les principaux intervenants à la table ont approuvé ce plan – y compris Pêches et Océans Canada (MPO), l’association de la morue charbonnière et le Conseil consultatif. Alors où est le problème?
Il semblerait que l’on ne peut créer des sections de pêche contrôlée dans une ZMP à l’étape de la planification de la gestion – à moins que ces sections aient été délimitées clairement au moment de la création de la ZMP. Or, pour une raison quelconque, le MPO n’a pas officialisé le plan de « zonage » dont nous avions tous convenu dans les règles entourant le mont Bowie en 2008. De fait, ces règles autorisent la pêche si celle-ci est faite conformément à la Loi sur les pêches du gouvernement fédéral. Si nous avions été au courant de ce point de détail lorsque  nous avons élaboré l’entente entourant la ZMP il y a cinq ans, nous aurions pu mettre sur pied un régime de protection efficace pour la zone marine du mont  Sgaan Kinghlas-Bowie.
Il se trouve que cet obstacle de taille n’a été révélé au Conseil consultatif du mont Bowie qu’à la toute fin de l’année 2012.
Mais tandis que les membres du WWF-Canada et du Conseil consultatif étaient dans l’ignorance, le MPO a été informé, lui, de cette question tout de suite après la désignation de la ZMP, et il entretient depuis une correspondance avec les avocats du fédéral. Autrement dit, depuis cinq ans que nous nous démenons pour mettre en place un plan de gestion rigoureux, que nous posons des questions au sujet du report de son application, voilà que cet aspect important n’a jamais été mentionné avant il y a quelques semaines à peine.
Ce qui soulève quelques questions

  • – La ZMP Sgaan Kinghlas-Bowie est-elle moins protégée que d’autres zones marines protégées de l’océan?
  • – Les quinze dernières années de travail en vue d’assurer la protection de cette région ont-elles été vaines si la réglementation entourant les ZMP sont si limitées? La pêche sera-t-elle permise comme avant, dans toutes les sections de la ZMP?  Ou devons-nous nous fier à la promesse du MPO que la pêche sera contrôlée comme convenu, mais suivant une approche plus « flexible »?
  • – Pourquoi a-t-il fallu cinq ans pour qu’on nous informe d’un important  obstacle à la finalisation du plan de gestion, et ce, malgré nos demandes répétées et le recours à tous les moyens dont nous disposions pour obtenir des réponses, notamment une pétition remise au commissaire à l’environnement ?
  • – Et surtout, combien de temps faudra-t-il encore pour que ce mont sous-marin  fasse l’objet d’une protection complète?

Voilà quelques-unes des questions auxquelles nous espérons trouver réponse dans le rapport de demain. Et si nous n’en trouvons pas, nous continuerons d’en faire la demande.
Il est important plus que jamais que le MPO se retrousse les manches et travaille en collaboration avec le Conseil de la nation Haida (maintenant membre du comité coopératif de gestion de la ZMP) et avec le Conseil consultatif du mont Bowie pour mettre sur pied un plan de gestion qui remette la conservation et la protection du mont de mer Sgaan Kinghlas-Bowie au premier plan.