Étude des risques de déversement de pétrole en mer de Beaufort
Quand je pense au pétrole dans l’Arctique, je pense à l’Exxon-Valdez, et me viennent à l’esprit toutes ces images d’oiseaux englués, de rivages couverts de boue noire et de cette grande tache d’huile s’étalant sur la mer. Et quand je pense à une éruption de puits de pétrole, je pense à l’explosion de la plateforme Deepwater Horizon dans le golfe du Mexique, où le pétrole a continué de jaillir pendant 68 jours avant qu’on ne parvienne à l’arrêter, dans une des zones marines les mieux desservies de la planète en matière de gestion des risques et d’intervention d’urgence. Toutes ces images se conjuguent dans mon esprit pour y faire naître une angoisse profonde, une peur que bien des gens partagent quand il est question de développement dans l’Arctique.
Des bateaux-pompes luttent contre les flammes qui enveloppent la plateforme pétrolière Deepwater Horizon le 21 avril 2010, au lendemain de l’explosion. © DVIDS
Le risque est bien réel, mais trop souvent, notre perception est façonnée par les images diffusées dans les médias plutôt que par les faits scientifiques. En réalité, nous savons très peu de choses sur les effets d’un déversement de pétrole dans l’Arctique, sur l’étalement de la nappe, sur l’interaction du pétrole avec la glace et sur les écosystèmes qui seraient touchés. C’est le genre de lacunes que le WWF-Canada entend corriger en ce qui concerne la mer de Beaufort, dans l’ouest de l’Arctique canadien.
Nous publions aujourd’hui les résultats d’une nouvelle recherche (en anglais seulement) portant sur les effets potentiels de divers types de déversement sur cette région. L’étude porte plus particulièrement sur l’étalement des nappes d’hydrocarbures à partir de plusieurs sources, sur les distances parcourues et leurs effets. Les résultats de la modélisation nous fournissent des informations cruciales pour éclairer les décisions portant sur le développement dans l’Arctique, surtout quand l’on voit que ces éventuels déversements pourraient empiéter sur d’importantes aires d’alimentation des bélugas, se répandre sur des côtes habitées par des collectivités nordiques et s’étaler au-delà de nos frontières marines pour atteindre les eaux internationales et celles des États-Unis.
Un béluga dans l’océan Arctique © Kevin Schafer / WWF-Canon
Nous avons travaillé en collaboration avec des spécialistes de haut niveau et, grâce à des technologies de pointe, nous avons pu dresser la carte de l’étalement et des effets d’éventuels déversements d’hydrocarbures en nous appuyant sur des données avérées. À partir des projets soumis par l’industrie, par exemple, nous avons déterminé les voies de navigation et lieux de forage les plus probables. Puis, à l’aide de données sur la température, la vitesse des vents, les courants marins et le couvert de glace, entre autres, nous avons obtenu des centaines de modèles explorant 22 scénarios différents. Bref, une immense somme de renseignements.
Il s’en est dégagé plusieurs tendances inquiétantes, notamment le fait que le pétrole déversé s’agglutine facilement à la glace de la banquise, ce qui le rend difficile à contenir et à nettoyer, et lui permet de voyegar encore plus loin du lieu d’origine du déversement – dans certains modèles, la nappe s’étendait même jusqu’aux côtes de la Russie. L’étude a aussi démontré que du pétrole déversé dans les eaux canadiennes pourrait atteindre les rivages de l’Alaska, aux États-Unis, et perturber non seulement la faune, mais aussi les moyens de subsistance des collectivités. Nous avons ainsi constaté qu’un déversement mineur pouvait avoir des effets nocifs majeurs. Il faut donc avancer avec précaution et envisager le développement de l’Arctique avec une très grande prudence.
Un Inuit observe le passage d’un grand navire brise-glace © Paul Nicklen/National Geographic Stock / WWF-Canada
Mais il ne suffit pas de posséder cette information, il faut surtout bien s’en servir. Les émissaires du WWF-Canada parcourent en ce moment le Grand Nord pour y rencontrer les Inuvialuits des diverses communautés et leur présenter ce rapport, car ce sont eux qui seront le plus directement touchés par un éventuel déversement de pétrole en mer de Beaufort. Nous avons également partagé cette information avec les principaux décideurs en ce qui a trait à l’Arctique canadien. Nous sommes confiants qu’à mesure que de nouvelles possibilités de développement se présenteront, ces résultats aideront tous les intéressés à mieux comprendre les risques encourus et à se préparer adéquatement aux scénarios les plus susceptibles de se réaliser et les pires.
Alors que des sociétés gazières et pétrolières internationales étudient des projets d’exploitation extracôtière dans la mer de Beaufort, une telle information est cruciale. Tout le monde s’entend à ce sujet : des accidents vont inévitablement se produire. Nous pouvons dès maintenant agir de manière sensée et, grâce à des recherches du même genre, jeter les bases d’un développement durable et intelligent qui atténue, voire qui élimine les risques environnementaux. C’est une question de choix éclairés. Le moment est venu de mettre nos connaissances scientifiques au service d’un avenir sain pour l’Arctique en nous assurant de prévenir les déversements d’hydrocarbures dans la région, afin d’éviter les effets désastreux qu’ils auraient sur les écosystèmes aussi riches que fragiles du Grand Nord, sur les collectivités qui l’habitent et les ressources naturelles, comme la faune et la flore, dont elles dépendent.