Cambodge: un braconnier repenti au service de la vie sauvage

De SUY Se (AFP) – Il y a 4 jours

MONDULKIRI — Tigres, ours, éléphants… Lean Kha compte des dizaines d’espèces protégées à son tableau de chasse. Mais l’ancien braconnier repenti fait désormais tout son possible pour protéger la faune de la forêt reculée de l’est du Cambodge.

Pendant près de trente ans, il a abattu des centaines de bêtes dans la province pauvre et montagneuse de Mondulkiri, à la frontière avec le Vietnam.

La plupart des carcasses étaient immédiatement revendues, même si quelques cerfs ou autres cochons finissaient dans les assiettes de sa famille.

« Je les ai tués parce que je n’avais rien à manger », se justifie Kha, 50 ans, en se préparant pour une patrouille au coeur de la Forêt protégée de Mondulkiri.

« Aujourd’hui, je ne mange plus jamais d’animaux sauvages. Je ne détruirai pas ce que je protège », promet celui qui est devenu garde-forestier.

Le gouvernement cambodgien espère attirer plus de visiteurs sur les 300.000 hectares de cette forêt à la beauté sauvage, et aider ainsi les communautés locales à améliorer leur quotidien.

Il a uni ses forces avec des groupes de conservation de la nature qui ont recruté des chasseurs expérimentés, comme Kha, pour protéger les animaux en danger et empêcher la coupe illégale de la forêt.

Keo Sopheak, qui gère ce parc national, entrevoit un avenir où la population locale « ira dans la forêt pour guider les touristes, pas pour chasser les animaux ».

Une sacrée victoire sur l’histoire, s’il y parvient. Car la faune de Mondulkiri a été décimée par les braconniers pendant les trente années de guerre qui ont ravagé le pays, jusqu’en 1998.

Kha a lui-même commencé à chasser dès l’âge de 13 ans, lorsqu’il a été recruté par les soldats khmers rouges.

Armé d’un AK-47, il disparaissait des jours durant dans la jungle avant de rapporter une charrette chargée de viande d’animaux sauvages, de cornes de vaches et d’os de tigres. Ce qu’il regrette aujourd’hui.

« A cette époque, j’étais totalement ignorant », explique-t-il. « Je ne connaissais pas la valeur de ces animaux. Je n’avais jamais entendu parler de protection de la vie sauvage ».

Ce braconnage n’a de surcroît même pas fait sa fortune. Les revenus étaient irréguliers. Souvent payé en nature par des sacs de riz, il parvenait tout juste à s’en sortir avec sa famille.

Alors quand les responsables du projet lui ont proposé un salaire stable en tant que garde-forestier, Kha a compris qu’il avait plus à gagner à protéger le gibier qu’à le tuer.

Et depuis presque dix ans, il tente de se racheter pour ce qu’il qualifie lui-même de « péchés du passé ».

Le repenti n’est pas le seul en son genre: dix autres braconniers ont suivi son parcours dans cette forêt. Avec le soutien financier du Fonds mondial pour la nature (WWF), ils passent au moins seize jours par mois à patrouiller à dos d’éléphant, à pied ou en bateau, accompagnés de policiers armés.

Et l’an dernier, ces équipes ont arrêté huit braconniers en possession d’espèces rares et menacées.

Des efforts qui semblent payer: on voit ainsi de plus en plus d’éléphants, d’ours noirs, de cerfs d’Eld, de léopards, de vautours et de bantengs, une espèce de boeuf sauvage.

« Les efforts de protection des agences du gouvernement et des gardes-forestiers venant des communautés, comme Lean Kha, ont contribué à dissuader les gens de chasser les animaux sauvages », se félicite Michelle Owen, du WWF.

Mais alors qu’au moins onze animaux appartenant à des espèces menacées, dont un éléphant et un léopard, ont été tués ici en 2010, il faut faire plus, prévient-elle.

« Même s’il y a des signes d’un renouveau de la vie sauvage, beaucoup d’espèces sont en danger », souligne la militante.