Acidification des océans : une menace pour l’Arctique
Il y a quelques années, Rashid Sumaila, un réputé professeur d’économie des pêches, m’a dit que l’impact du réchauffement et de l’acidification des océans aura un effet dévastateur – pour l’environnement bien sûr, mais aussi pour les communautés inuites. « D’abord, les poissons nagent vers le nord pour fuir la hausse des températures de l’eau. Mais, lorsqu’ils atteignent l’Arctique, ils aboutissent dans un véritable cimetière en raison de l’acidification des océans. Ce phénomène est pire dans l’Arctique que n’importe où ailleurs au Canada, et décime les populations de poissons », m’a-t-il expliqué.
Et maintenant une nouvelle étude (en anglais), dont Rashid est l’un des co-auteurs, confirme ce phénomène : les communautés arctiques sont vulnérables à l’acidification des océans. L’étude estime qu’au cours des 20 prochaines années, la mer de Beaufort – sur la côte nord-ouest du Canada – pourrait devenir si acide que les crustacés, les poissons, les baleines et d’autres organismes possédant une carapace ou qui en dépendent feront face à de très fortes pressions. Ceci est très inquiétant pour cet écosystème riche mais fragile. La situation est d’autant plus grave en raison de l’effet que ce phénomène aura sur les multiples communautés arctiques qui dépendent d’océans en santé pour assurer leur subsistance.
Alors que l’acidification frappera durement l’Arctique, le problème n’est pas limité qu’au Grand Nord. D’autres régions et d’autres secteurs économiques du Canada, incluant la baie de Fundy et la côte du Pacifique, sont aussi particulièrement vulnérables à l’acidification des océans, à la fois sur le plan écologique et d’un point de vue social. Les communautés rurales de la Baie de Fundy dépendent de la pêche au homard (la pêcherie la plus lucrative au Canada), de celle du pétoncle ainsi que du tourisme lié à l’observation des baleines. Chaque été, l’une des baleines les plus en péril au monde – la baleine noire de l’Atlantique Nord, fait un voyage de plusieurs milliers de kilomètres jusqu’à la baie de Fundy afin de se nourrir des copépodes qui y vivent. Les homards, les pétoncles et les copépodes sont des organismes calcificateurs, ce qui les rend vulnérables à l’acidification.
Sans enveloppe protectrice durable, ces organismes munis de carapaces – qui constituent une partie importante de la chaîne alimentaire – auront de la difficulté à survivre. Cela signifie qu’il n’y aura plus suffisamment de nourriture pour les bélugas, les phoques et les ours polaires, pour ne nommer que ceux-là. Et si ces espèces n’arrivent plus à se nourrir, il est possible que des gens n’y arrivent plus non plus. Cela est particulièrement vrai pour certaines communautés arctiques très reculées, qui n’ont pas l’option de diversifier leur régime alimentaire ou leurs moyens de subsistance, tous dépendants qu’ils sont à un environnement sain.
L’acidification des océans, que l’on surnomme parfois le « jumeau diabolique » du changement climatique, se produit lorsque du dioxyde de carbone excédentaire, issu de la consommation de combustibles fossiles, est absorbé par l’eau de mer. Les océans constituent le plus grand puits de carbone au monde. En effet, entre 30 et 40 % du dioxyde de carbone que l’on produit en brûlant du charbon ou en conduisant nos voitures se dissout dans les océans du monde, ainsi que dans nos lacs et nos rivières. Cela se combine à d’autres facteurs tels que le degré de salinité de l’eau, sa température ou encore les remontées.
Il s’agit d’un problème global et à long terme, dont la résolution dépend ultimement d’une réduction des émissions de dioxyde de carbone de grande ampleur, qui nécessitera des décennies à réaliser. Plus tard cette année, à Paris, les États ont la chance de s’engager sur la voie de la résolution de ces questions. Jusqu’à ce qu’on y arrive, l’adaptation locale et des mesures de mitigation sont essentielles au maintien du bien-être des communautés côtières affectées et à celui des espèces marines dont elles dépendent. Des zones de protection marine plus nombreuses et mieux défendues contribueront à améliorer la résilience des écosystèmes marins vulnérables. Elles font partie de la solution.