Taloyoak travaille à la création de l’aire protégée et de conservation inuite Aqviqtuuq

Par Jimmy Oleekatalik, directeur de Spence Bay HTA en Taloyoak, NU

Taloyoak est la communauté la plus au nord du Canada continental, et la plus amicale du Nunavut. À partir d’ici, sur la côte sud-ouest d’Aqviqtuuq, il n’y a que des îles. Par conséquent, toutes les espèces doivent passer par Taloyoak pour leur migration, qu’elle soit terrestre ou marine.

Malgré cette abondance d’espèces, nous sommes confronté.e.s à l’insécurité alimentaire parce que la nourriture offerte en magasin est chère et que la nourriture traditionnelle est menacée par la crise climatique, par l’industrie et l’exploration minière. Mais nous savons comment remédier au problème. Nous venons de recevoir 451 000 $ du Prix Inspiration Arctique – qui finance des projets novateurs des habitant.e.s du Nord pour améliorer leur communauté – pour nous aider à le réaliser.

Taloyoak protest
Les résident.e.s de Taloyoak manifestent en solidarité aux Inuit.e.s qui bloquent la mine Mary River de Baffinland, en février 2020. © Spence Bay Hunters and Trappers Association

Aqviqtuuq, c’est chez nous, c’est notre territoire traditionnel. Il nous a fourni ce dont nous avons besoin pour survivre et nous épanouir depuis des générations. Nous voulons protéger ce territoire et ses ressources du développement industriel parce que cette région est sacrée pour nous, elle dispose de tout ce qui nous est nécessaire pour prospérer.

Ainsi, nous travaillons à créer l’aire protégée et de conservation inuite (APCI) Aqviqtuuq, laquelle couvrirait plus de 90 000 km2 d’océan, de rivières, de lacs et de terre. Une APCI n’est pas une aire protégée ordinaire, car les peuples autochtones y sont en charge, afin de s’assurer de notre sécurité alimentaire par une récolte durable et un développement économique incluant, par exemple, des pêches communautaires à petite échelle, des pourvoiries et du tourisme.

Depuis l’époque de mon grand-père, où il a été question de construire un pipeline à travers Aqviqtuuq, nous luttons pour garder la région sécuritaire. Mais comme il ne se passait rien, vers 2016 nous avons contacté le WWF-Canada et c’est à ce moment que les choses ont commencé à bouger. Si ça n’avait pas été du WWF-Canada et de son personnel, nous n’aurions jamais déposé notre candidature au Prix Inspiration Arctique.

La harde de caribous Ahiak vient ici chaque été, à son aire de mise bas, et plusieurs autres espèces donnent ici naissance à leurs petits – les phoques, le bœuf musqué, les oiseaux et les poissons comme l’omble chevalier et la morue. Nous avons aussi entendu d’un chasseur qu’il avait vu une baleine boréale donner naissance à son baleineau cet été, ce qui rend l’endroit encore plus spécial.

Notre projet récipiendaire du Prix Inspiration Arctique, Niqihaqut, qui signifie « notre nourriture », permettra de former notre plan de gestion d’Aqviqtuuq par le développement d’une économie basée sur la nourriture traditionnelle, incluant une installation de coupe et d’emballage pour préparer et distribuer nos récoltes.

La nourriture traditionnelle – le caribou, le poisson et le phoque – est la meilleure pour notre santé, mais elle n’est pas aussi immédiatement disponible que la nourriture du magasin envoyée du sud par avion. Plusieurs aîné.e.s, parents monoparentaux et familles à très faible revenu ne peuvent se payer la nourriture du magasin, mais n’ont pas non plus accès à la nourriture traditionnelle.

En grandissant à Taloyoak, nous sommes constamment sur le territoire. Dès que le temps commence à se réchauffer, nous sortons pêcher et chasser. Mais il devient de plus en plus difficile et coûteux de sortir chasser à Taloyoak. Les dérèglements climatiques menacent la sécurité de nos chasseur.se.s parce que le territoire, les lacs et la glace deviennent plus dangereux et que les espèces sont plus rares et éloignées.

Artic Inspiration Prizewinner Jimmy Oleekatalik is manager of the Spence Bay HTA
Jimmy Oleekatalik, directeur de Spence Bay HTA © ArtiConnexion

La crise climatique amincit aussi la banquise du Passage du Nord-Ouest situé tout près, ce qui ouvrira bientôt de nouvelles routes maritimes internationales dans les habitats de nos espèces marines, en plus d’augmenter le risque de déversement d’hydrocarbures.

Cette région est aussi convoitée par l’industrie minière qui possède des concessions d’exploration. L’industrie promet la prospérité, mais elle vient avec un coût pour nos traditions culturelles et sociales, et notre environnement. Aqviqtuuq est l’habitat le plus important pour le caribou pendant sa période de mise bas et d’élevage des petits, mais tout sera affecté si nous avons une mine. Des bœufs musqués aux insectes et des ours polaires au plancton, pour nous, ce n’est qu’un seul écosystème.

Nous sommes témoins de ce qui arrive à Pond Inlet avec la mine Mary River de la compagnie Baffinland, et à quel point cela affecte leurs narvals et leurs caribous. Nous avons organisé une protestation solidaire à Taloyoak pour appuyer leurs chasseur.se.s, parce que nous avons une vision différente, nous aussi.

Depuis maintenant plusieurs années, il y a des conversations à propos d’un retour à notre régime alimentaire et nos moyens de subsistance traditionnels. Le projet Niqihaqut est compatible avec nos convictions et nos besoins en tant que communauté inuite. Nous nous sommes porté.e.s candidat.e.s au Prix Inspiration Arctique avec de grands espoirs et nous voulons exprimer notre gratitude d’avoir reçu cette reconnaissance et qu’on ait cru en nous.

Que quelque chose de cette envergure nous arrive est très encourageant. Avec le projet Niqihaqut et une installation de coupe et d’emballage au village, il y aura plus d’emplois, plus de nourriture traditionnelle disponible et plus d’argent pour les programmes sociaux qui soutiennent les aîné.e.s, les jeunes et les parents monoparentaux. Cela bénéficiera à toute la communauté. Une mine crée des emplois durant 20 ans. Une nouvelle économie alimentaire et la toute première aire protégée et de conservation inuite au pays généreront des emplois à perpétuité, de génération en génération, tout en protégeant le territoire.

Initialement publié sur The Hill Times, le 15 mars 2021