Comment le sirop d’érable peut aider à lutter contre les crises du climat et du déclin de la biodiversité (pour vrai!)

D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été passionné de promenades dans les érablières, qu’elles soient exploitées en sucrerie ou non, à la recherche d’oiseaux et de plantes. Au lever du soleil, en juin, on peut y entendre les pics maculés qui tambourinent, les viréos aux yeux rouges qui arrivent des Caraïbes pour nicher et se reproduire, les parulines et les grives chanter toutes en même temps, créant une symphonie de chants d’oiseaux forestiers.

Il y a quelques années, lors d’une promenade printanière dans une sucrerie, je me suis aperçu que le silence prenait beaucoup de place. Les oiseaux forestiers se faisaient silencieux, malgré le fait que nous étions un matin de juin, le mois où les oiseaux chanteurs sont normalement le plus loquaces.

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Une érabière exploitée en sucrerie, dans le sud du Québec. © Steve Hamel

Cette observation m’a obligé à ouvrir les yeux et à regarder l’écosystème de plus près.

Dans le sud du Québec, où je vis, les forêts sont principalement des érablières à bouleau jaune, des érablières à caryer cordiforme et des érablières à tilleul. Ça représente beaucoup d’écosystèmes d’érablières, ce qui peut expliquer que l’érable (et les produits de l’érable qu’on en tire) occupe une place si importante dans notre culture. Dans ces forêts, l’érable rouge et l’érable à sucre sont les espèces dominantes grâce auxquelles nous pouvons produire le sirop d’érable.

Mais ce n’est pas tout : elle soutiennent aussi 17 espèces menacées ou vulnérables au Québec, dont la grive des bois, la pipistrelle de l’Est et la salamandre pourpre.

La forêt puise sa force dans la diversité 

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Une érablière saine, avec diverses strates, dans le sud du Québec. © Steve Hamel

En regardant de plus près l’érablière, j’ai remarqué que la structure de la forêt était très simple – trop simple. Normalement, une érablière, comme tout type de forêt, se compose de strates végétales multiples et denses. Ces strates sont des étages de différentes hauteurs composées notamment des couvre-sols, des plantes herbacées, des petits et grands arbustes et des arbres de canopée qui forment la couche supérieure.

Cependant, ce que j’observais était plutôt homogène, uniforme et très clairsemé.

De retour à la maison, j’ai fouillé la littérature scientifique pour constater que plusieurs chercheur.se.s estiment que la plupart de nos sucreries sont des écosystèmes épurés s’apparentant plus à des monocultures à 95 %. Cela signifie que 95 % de la sucrerie est composé de la même espèce d’arbre, soit de l’érable à sucre et rouge. Des décennies à aménager les érablières pour maximiser la production de sirop d’érable à court terme ont dégradé ces écosystèmes : l’élimination des espèces d’arbres autres que l’érable et des strates du sous-bois ont rendu ces forêts moins diversifiées qu’un écosystème forestier naturellement complexe.

Non seulement elles n’arrivent plus à offrir un habitat capable d’accueillir une grande diversité d’espèces, mais elles sont aussi plus vulnérables aux effets de la météo liés au climat : diminution de la neige, sol asséché, fluctuations erratiques de la température, supertempêtes qui endommagent les arbres et hausse des espèces envahissantes, comme la spongieuse européenne.

Voici pourquoi : une forêt dont la structure a été simplifiée en monoculture permet au vent et au soleil d’y pénétrer plus facilement, ce qui a pour conséquence de l’assécher. Puisqu’à la base, l’érablière est un écosystème dont les conditions d’humidité permettent l’épanouissement d’une abondance d’invertébrés qui sont la base de la chaîne alimentaire, son assèchement peut avoir des conséquences autant écologiques qu’économiques.

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Une grive des bois, espèce menacée au Canada © Sherwood Lincoln

D’abord, un sol asséché sera moins accueillant pour des invertébrés essentiels à l’alimentation de certains oiseaux comme la paruline couronnée, dont c’est la source de nourriture principale – et peut donc entrainer une diminution de l’abondance des oiseaux nicheurs. De plus, des conditions de sécheresse pourraient faciliter l’établissement de certaines plantes envahissantes, telles que le nerprun bourdaine, dans le sol de la forêt.

Ensuite, cela peut aussi perturber la physiologie des érables (les fonctions comme la gestion de l’eau, la croissance et le développement), et parfois rendre la production de sève difficile. Plus d’humidité donnera plus de sève, ce qui donnera… plus de sirop d’érable!

Pour aggraver le problème, une forêt aménagée en monoculture sera moins efficace pour stocker le carbone.

Cette approche traditionnelle de l’aménagement axée sur la monoculture touche plus de 50 % des 300 000 hectares d’érablières du Québec – et celles du sud de l’Ontario et du Nouveau-Brunswick sont confrontées à des menaces similaires.

Ce déclin de l’écosystème devient inquiétant, autant pour la biodiversité que pour les communautés qui vivent de l’industrie acéricole.  En effet, on estime que d’ici 2040, la production de sirop d’érable ne sera plus rentable dans les régions du sud du Québec et qu’en 2060, elle pourrait ne plus être possible du tout, et elle pourrait également devenir difficile plus au nord.

Ce que fait le WWF-Canada 

Pour restaurer ces écosystèmes à un état plus sain, le WWF-Canada développe une Initiative pour les érablières en rassemblant les principaux.ales acteur.rice.s de l’industrie : les propriétaires d’érablières, les producteur.rice.s de sirop, les ingénieur.e.s forestier.ère.s, les universitaires et les ONG environnementales.

Plus précisément, nous mettons en place un programme pratique d’accompagnement pour les acériculteur.rice.s qui inclut une formation pour l’évaluation de la santé des érablières et des conseils de gestion, tels que des suggestions d’espèces indigènes autres que l’érable à planter en fonction de la région.

Jusqu’à maintenant, nous avons réalisé des évaluations de santé des sucreries, des sessions de formation, et avons consulté les diverses parties prenantes concernées au Québec afin d’élaborer une approche exhaustive.

Ensemble, nous pouvons rendre les érablières plus saines et plus diversifiées, pour toutes les espèces qui en dépendent, et aussi, pour plus de sirop d’érable!

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Un sentier dans une érablière saine. © Steve Hamel

Steve Hamel est spécialiste sénior, restauration de la biodiversité, au WWF-Canada