Comment je suis devenue écologiste

À bien des égards, il était inévitable que je devienne écologiste. Avec un père qui sort des noms scientifiques d’oiseaux durant le souper et une mère experte des statistiques, qu’est-ce qu’une amoureuse des arbres fascinée par les données aurait pu devenir d’autre? Une carrière pour la fille d’un spécialiste des prairies et une scientifique des données devait inclure la nature et les nombres à parts égales.

Aranya Iyer bague un jaseur d’Amérique en Oregon, États-Unis, durant la saison de terrain 2017 © Aranya Iyer

En grandissant dans un tel foyer, j’ai appris à révérer et à respecter la nature pour tous les bienfaits qu’elle ne cesse de nous donner sans retour. Par de simples habitudes comme éteindre les lumières ou ne pas jeter de nourriture, on m’a inculqué que c’était un privilège d’avoir accès à cette abondance de ressources. Ces valeurs se sont aussi manifestées dans des décisions familiales telles que de suivre un régime alimentaire végétarien et de manger des aliments qui nuisent le moins aux êtres vivants et à la nature qui m’entoure.

De plus, on m’a encouragé à approcher la vie avec curiosité et émerveillement. En tant que famille, nous l’exprimons le plus purement durant nos voyages printaniers d’observation des oiseaux au parc national de la Pointe-Pelée , nous émerveillant durant des heures devant les couleurs réintroduites dans notre monde par les petites parulines migratrices qui volètent dans les arbres.

(« Quel oiseau est-ce que tu vois quand tu fermes tes yeux? » me demande mon père à la fin d’une longue journée à regarder et à écouter nos amis à plumes. « Je ne peux pas m’enlever de la tête le jaune citron de la paruline orangée, » de dire ma mère. « La paruline à poitrine baie est certainement la paruline la plus dodue qui existe et c’est ma nouvelle préférée, » ai-je répondu.)

Aranya et sa mère durant leur voyage printanier annuel d’observation d’oiseaux au parc national de la Pointe-Pelée en 2016 © Aranya Iyer

Ces voyages ont planté les graines de ce qui bourgeonnerait en une carrière d’écologiste. La première étape a été ma première saison de terrain où j’ai passé les mois de mai à aout 2017 à apprendre comment baguer des oiseaux. Cela implique de trapper sécuritairement les oiseaux dans un filet fin tôt le matin, attacher une bague de métal unique à leur patte, enregistrer des mesures clés de longueur d’aile et de poids et de les relâcher dans la nature le plus vite possible.

Dans ces stations éloignées de baguage d’oiseaux, j’ai aussi appris à observer les oiseaux de loin, à enregistrer leur comportement et à étudier leurs habitats. C’était la première fois, durant ces quatre mois, que j’étais absorbée dans le travail de terrain – la collecte de donnée sur la flore, la faune et les conditions externes sur le terrain.

Je me suis sentie comme si je vivais dans une des histoires que mon père me racontait sur ses expériences : des journées complètes passées à l’extérieur, des nuits dans un chalet rustique avec un service cellulaire minime, et parfois, oui parfois seulement, l’accès à l’eau courante. Une partie de moi s’est demandé comment je pourrais en faire une carrière. Une autre partie s’est demandé pourquoi il n’y avait pas plus de gens qui me ressemblaient qui se demandaient cette question.
Réaliser qu’être écologiste est plus que du travail de terrain a été un réveil brutal. Cette conscientisation m’a catapulté dans la deuxième étape de mon cheminement de carrière, et la formation de ma mère a amorti le choc. Sa fascination pour les données, les modèles et les graphiques – et son talent pour la gestion d’équipe à succès – l’avait fait progresser jusqu’au niveau de directrice de sa compagnie et leader dans son domaine.

Peu de temps après qu’elle a obtenu son titre, j’ai aussi obtenu le mien. Bon, le mien c’était « codirectrice » d’une organisation communautaire appelée FREED pour Field Research in Ecology and Evolution Diversified (Recherche de terrain diversifiée en écologie et évolution) que j’ai créée et dirigée, en compagnie de Mariel Terebiznik, pour améliorer l’accès au travail de terrain pour les étudiant.e.s autochtones, noir.e.s et/ou racisé.e.s. La facilité avec laquelle j’ai réussi à transitionner vers ce poste reflète le chemin que ma mère avait tracé.

Young woman, with a male and female student on either side of her, holds binoculars in one hand and points toward the tree canopy
Aranya Iyer anime un atelier d’observation d’oiseaux pour FREED avec des étudiant.e.s à la station de recherche sur les espèces Algonquin en 2022 © Samantha Stephens.

Puis, je suis atterrie ici au WWF-Canada, à faire de la recherche de conservation pour l’équipe Science, savoir et innovation. Même ici, je m’aperçois de l’influence de mes parents : j’utilise mes connaissances de naturaliste pour vérifier des articles à propos d’espèces en péril et je peux écrire un code pour créer des graphiques qui montrent comment différentes stratégies peuvent bénéficier aux espèces en péril en Ontario.

Dans cette organisation, j’ai l’appui d’un réseau de scientifiques féminines brillantes et bienveillantes. Loin de l’habituel déséquilibre de genre qu’on constate en sciences, technologies, génie et mathématiques, mes projets ici sont dirigés et exécutés par une majorité de collègues féminines. C’est un honneur de travailler au WWF-Canada, au sein d’un réseau où mon père a fait du bénévolat (au WWF-Inde) il y a plus de vingt ans.

À chaque étape de mon parcours, mes parents m’ont offert leur soutien indéfectible. Mes parents m’ont aidée financièrement, particulièrement durant le travail de terrain, une période où je n’étais pas payée, mais où j’apprenais le nécessaire pour étudier les modèles terrestres du point de vue de la science occidentale. Mes parents m’ont aussi appuyée émotionnellement quand tou.te.s mes ami.e.s d’enfance ont postulé pour des études en science de la santé ou des stages en génie, et que je me sentais comme le vilain petit canard. Tout cet appui n’a pas de prix, et il se fait rare, en particulier pour une fille d’immigrant.e.s indien.ne.s comme moi.

Être une femme racisée en science n’est pas quelque chose que j’ai accompli toute seule, mais je le célèbre à chaque jour, y compris durant la Journée internationale des femmes et des filles en science. Je me tiens ici, je porte les valeurs et j’agis en fonction des celles-ci et des habitudes des générations qui m’ont précédée. Je continue à être ici grâce à tout l’appui que je reçois aujourd’hui de collègues et d’ami.e.s au WWF-Canada et ailleurs. Mon seul espoir est de pouvoir redonner aux générations suivantes, ce qui est la prochaine étape importante de ma carrière et de ma vie.