Le fédéral finance le développement pétrolier et gazier à Terre-Neuve-et-Labrador malgré les critiques de ses propres scientifiques concernant l’évaluation environnementale erronée

Océan

K’JIPUKTUK (HALIFAX) 1er octobre 2020 – Plus tôt cette semaine, le gouvernement fédéral canadien a alloué 320 millions de dollars pour soutenir l’industrie pétrolière et gazière extracôtière de Terre-Neuve-et-Labrador. La semaine précédente, c’est la province qui a établi une initiative d’exploration extracôtière pour encourager le forage et le réinvestissement dans le pétrole extracôtier. Ces deux annonces visant à stimuler le développement pétrolier et gazier arrivent pourtant à la suite d’un rapport de la Direction des sciences de Pêches et Océans Canada (MPO) qui a identifié d’importantes failles dans une évaluation environnementale majeure de l’exploitation pétrolière et gazière dans la région.

L’Ecology Action Centre, la Fondation Sierra Club Canada et le Fonds mondial pour la nature (WWF-Canada) ont trouvé que l’examen fait par la Direction des sciences de Pêches et Océans Canada de l’Évaluation régionale (ÉR) pour l’exploitation pétrolière et gazière au large de Terre-Neuve-et-Labrador ne suivait pas les propres politiques du gouvernement fédéral telles qu’exigé en vertu de la Loi sur l’évaluation d’impact (LEI).

Exprimant de sérieuses préoccupations quant à l’évaluation, la Direction des sciences du MPO a conclu que plusieurs modules de l’ÉR qu’elle a examinés « ne sont pas considérés comme des sources d’information fiables d’un point de vue scientifique pour les processus décisionnels. »

L’ÉR a été complétée en moins d’une année, bien que la taille de la zone étudiée soit plus grande que la province de l’Alberta. En dépit de la réprimande claire des scientifiques du MPO, l’ÉR a entraîné de nouvelles normes permettant aux projets de forage exploratoires de continuer sans autre forme d’évaluation environnementale ou d’apport du public, aussi longtemps qu’ils répondent à un ensemble d’exigences minimales.

La critique de la Direction des sciences du MPO fait écho à plusieurs des préoccupations majeures soulevées par les groupes environnementaux qui ont participé à cette évaluation. Tant le rapport du MPO que les groupes environnementaux ont relevé que l’évaluation a été grandement précipitée, que les lacunes dans les données cruciales n’ont pas été identifiées ou comblées, et que des habitats importants auront besoin de mesures d’atténuation spéciales pour les protéger des impacts de l’exploration pétrolière et gazière.

Si le gouvernement du Canada a accepté l’ÉR, plusieurs enjeux soulevés dans le rapport du MPO ne semblent pas avoir été résolus. L’examen contredit le message de l’Agence d’évaluation d’impact du Canada affirmant que cette évaluation, qui devait établir un précédent, « excéderait la rigueur et le rendement de l’évaluation environnementale actuelle et du processus d’examen réglementaire. »

Les juristes d’Ecojustice qui représentent l’Ecology Action Centre, la Fondation Sierra Club Canada et le WWF-Canada ont entamé des poursuites en cour contre le gouvernement du Canada sur la question de la légitimité de l’évaluation et de l’exemption à laquelle elle mène. Les groupes cherchent à faire rouvrir l’évaluation afin qu’elle soit complétée selon les normes élevées de la LEI et pour faire tomber le règlement d’exemption.

RENSEIGNEMENTS SUPPLÉMENTAIRES

  • Le but d’une évaluation régionale (ÉR) est d’analyser les impacts potentiels d’un certain type d’activité sur les écosystèmes à un niveau régional. Ce type d’évaluation peut préapprouver certaines activités si elles répondent à un certain ensemble d’exigences. Dans ce cas, les compagnies pétrolières et gazières n’auront pas besoin de faire des évaluations d’impact spécifiques par projet.
  • Puisque cette ÉR est la première en son genre au Canada en vertu de la Loi sur l’évaluation d’impact, elle établit un précédent important pour les prochaines ÉR.
  • La critique de la Direction des sciences du MPO note les points clés suivants :
    • Dans les quatre modules techniques envoyés au MPO pour examen, la plupart de l’information de base concernant la zone d’étude était incomplète et désuète, ce qui remet en question la crédibilité et la pertinence des conclusions et des recommandations de l’ÉR en question.
    • Le MPO n’a pas reçu d’importantes sections de l’ÉR pour son examen. Plus particulièrement, la section sur les effets cumulatifs (les impacts combinés de toutes les activités humaines dans la région) a été omise, même si l’évaluation des effets cumulatifs est une des raisons qui sous-tend la conduite d’une ÉR.
    • L’ÉR a pour but d’améliorer la rigueur et la fiabilité scientifique des évaluations d’impact sur les projets de forage exploratoire dans la région, elle doit donc se baser sur l’information scientifique la plus récente et les lacunes dans les données doivent être clairement identifiées. Elle doit aussi se baser sur une approche écosystémique considérant l’interconnectivité des aspects vivants et non vivants de l’environnement, selon la Direction des sciences du MPO.
    • La zone d’étude a été traitée comme une unité écologique unique, malgré son aire de 735 000 km2 et le fait qu’elle contienne plusieurs habitats dont les sensibilités aux perturbations varient grandement.
    • L’ÉR inclut des « erreurs et des omissions » au sujet des mammifères marins, dont des espèces en péril, ce qui résulte en la banalisation de l’importance écologique et biologique de la région. La recommandation d’augmenter la surveillance et de mettre en place des mesures d’atténuation pour protéger les rorquals bleus, les rorquals communs et la baleine noire de l’Atlantique Nord a été ignorée dans l’ÉR et l’exemption.
    • La Direction des sciences du MPO a aussi noté que les zones sensibles, particulièrement celles avec des objectifs de conservation benthique définis, devraient être gérées avec une plus grande aversion au risque, et des mesures d’atténuation spéciales devraient être appliquées pour toute future activité de forage exploratoire au sein de ces zones.

 

CITATIONS

Jordy Thomson, coordonnateur sénior de la conservation des écosystèmes marins au Ecology Action Centre, dit :

« Les groupes environnementaux ont participé au processus d’évaluation régionale de bonne foi et dans les délais requis, mais pourtant nos préoccupations ont été ignorées. Le rapport écrit par les experts du MPO devrait alarmer quiconque s’intéresse à la protection de l’Atlantique au large du Canada. On ne devrait pas permettre qu’un règlement d’exemption basé sur une utilisation aussi bâclée de la science ne tienne. Nous allons continuer de nous battre en cour pour nous assurer que l’évaluation régionale ne devienne pas un outil pour approuver tous les projets industriels. »

Gretchen Fitzgerald, directrice des programmes nationaux à la Fondation Sierra Club Canada, dit :

« Ce rapport démontre clairement que l’évaluation régionale a tenté de mettre de côté la science établie en ce qui concerne les baleines présentes dans la région, dont la recommandation de protéger les baleines en voie de disparition. La prise de décision basée sur la science devait être au cœur de la nouvelle Loi sur l’évaluation d’impact, mais ce rapport met en lumière le fait que l’évaluation n’a pas sérieusement pris en compte les avis scientifiques. Le Canada subventionne et dérégule imprudemment l’industrie pétrolière et gazière, mettant en péril l’océan et la biodiversité. Les baleines en péril, les pêches et notre climat en paieront le prix si nous n’y mettons pas un frein maintenant. »

Sigrid Kuehnemund, v.-p. Espèces et industries au WWF-Canada, dit :

« Les espèces sont en déclin au Canada, et le processus d’évaluation d’impact est pensé pour protéger ces espèces des pressions industrielles. Les évaluations doivent être basées sur la meilleure science disponible afin que les impacts industriels sur les habitats et les espèces vulnérables soient atténués, ce qui n’a pas été le cas pour cette évaluation régionale. Il est inconcevable qu’on ait utilisé un processus aussi bâclé pour éliminer le besoin de réaliser d’autres évaluations environnementales sur l’exploitation pétrolière et gazière pour une région océanique aussi grande que variée. »

 

À PROPOS 

Le WWF-Canada propose des solutions aux grands défis de conservation qui nous tiennent tou.te.s à cœur. Nous menons des projets dans des lieux uniques et de grande valeur environnementale afin que la nature et les humains cohabitent en harmonie. wwf.ca/fr 

Ecology Action Centre est un leader pour les enjeux environnementaux cruciaux de protection de la biodiversité, de changement climatique et de justice environnementale. Le Centre est une organisation indépendante qui pousse le changement en militant pour des politiques, en développant des communautés et en se faisant le chien de garde de l’environnement. Le Centre prend une approche holistique de l’environnement et de l’économie pour créer une société juste et durable. Le Centre est un fervent partisan de la protection marine et de la réduction de la pollution, militant pour les aires marines protégées et la préservation de la biodiversité des eaux canadiennes et de la haute mer.

La Fondation Sierra Club Canada encourage les individus à protéger, restaurer et apprécier une planète saine et sûre. L’approche locale est au cœur de notre stratégie. « Penser globalement, agir localement » résume bien notre philosophie. Nous encourageons vivement nos membres à soutenir les causes environnementales qui les inspirent et à se mobiliser du mieux qu’ils peuvent selon leurs capacités.

Pour plus de renseignements

  • Laurence Cayer-Desrosiers, Spécialiste communications, WWF-Canada
    [email protected] | 514-703-2409
  • Jordy Thomson, Marine Science and Conservation Coordinator | Ecology Action Centre
    1-902-877-9382, [email protected]
  • Gretchen Fitzgerald, National Programs Director | Fondation Sierra Club Canada
    1-902-444-7096, [email protected]