Révolutionnons notre approche en conservation des espèces

En réaction aux très inquiétants déclins d’espèces, les organisations en conservation et les parlementaires fédéraux de toutes allégeances politiques ont demandé au gouvernement du Canada de mettre la nature en priorité dans son prochain budget, en allouant un minimum de 1,4 milliards de dollars pour la protection des habitats.
L’ARGENT NE SUFFIT PAS
S’il est urgent d’investir dans la nature, la façon de dépenser cet argent est aussi importante que le montant prévu au le budget, en cours de finalisation et qui sera dévoilé en mars par le ministre des Finances Bill Morneau.
Dépensé intelligemment, ce nouveau financement a le potentiel de réellement avantager notre nature, pour nos habitats et espèces les plus vulnérables. En plus de contribuer au renversement du déclin des espèces, une initiative fédérale bien exécutée peut favoriser la réconciliation en appliquant les savoirs traditionnels, et en permettant aux communautés autochtones d’identifier les aires naturelles importantes et de les gérer.
La nature canadienne ne peut être à nouveau laissée pour contre par le gouvernement.

Petit caribou (Rangifer tarandus) pâturant à l’embouchure de la rivière Firth, parc national Ivvavik, Yukon, Canada.

Selon le Rapport Planète vivante Canada du WWF publié en septembre dernier, 50 % des espèces évaluées au pays sont présentement en situation de déclin. Une autre étude récente du WWF révèle que notre planète est en voie de perdre 67 % de ses populations d’espèces d’ici 2020, à moins que le déclin mondial ne cesse.
BEAUCOUP DE CHEMIN RESTE À FAIRE POUR LA PROTECTION DES HABITATS
Une des meilleures façons de renverser le déclin est la protection des aires qui fournissent aux espèces un habitat leur permettant d’être à l’abri des risques liés au développement. Aujourd’hui, face aux changements climatiques, il existe trois éléments clés pour toute aire protégée valable. Cet habitat doit être :

  1. Essentiel pour le bien-être des espèces;
  2. Suffisamment vaste pour soutenir l’écosystème en entier (plutôt que seulement les habitats les plus essentiels);
  3. Une partie d’un encore plus grand réseau fournissant un territoire, de l’eau douce ou des corridors marins qui permettent aux espèces indigènes du pays de se déplacer en réponse aux changements climatiques.


Parce qu’il reconnait l’importance de la protection des habitats, le Canada s’est engagé à préserver au moins 17 % des terres et des eaux intérieures et 10 % des aires marines et côtières d’ici 2020, en vertu de la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique. Il reste encore beaucoup de chemin à faire.
Depuis 2016, le Canada a protégé seulement 10,5 % de nos aires terrestres. Et bien que ce chiffre ne semble pas si mal, il y plusieurs raisons de penser que ces protections existantes ne sont pas convenables. La plupart ne sont pas assez grandes ou pas suffisamment intégrées pour être valables. De plus, les terres protégées actuelles sont choisies pour leur accessibilité plutôt que pour l’abondance et l’importance des espèces qu’elles soutiennent.
Du côté de la protection marine, la situation est encore plus sombre. Jusqu’à l’année dernière, moins d’1 % des océans canadiens étaient protégés. En 2017, le gouvernement a démontré à quel point il pouvait agir rapidement lorsqu’il est motivé, établissant des mesures de protection marine qui, sur papier, ont augmenté l’étendue de la protection marine de près de 8 %. Mais les détails de base de certaines mesures ne sont pas clairs, comme le moment de leur entrée en vigueur, la façon dont elles seront surveillées et quels types de développement seront proscrits. Lorsque nous constatons que l’exploration gazière et pétrolière est encore permise à l’intérieur des aires protégées proposées, comme avec le chenal Laurentien, nous nous posons la question, à savoir si le gouvernement est sérieux quant à l’adoption de mesures qui bénéficieront de manière significative à nos espèces et aux communautés qui en dépendent.

Baleine noire de l’Atlantique Nord (Eubalaena glacialis) au large de l’île de Grand Manan, Baie de Fundy, Nouveau-Brunswick, Canada.

DE NOUVELLES NORMES MINIMALES
Pour les nouvelles aires protégées qui produiront des résultats durables, la qualité est aussi importante que la quantité. Le Canada a besoin de normes minimales afin d’assurer que les aires les plus essentielles soient suffisamment protégées contre les menaces humaines, actuelles et éventuelles. Nous ne pouvons choisir chaque fois la stratégie de la cible facile située dans une région stérile ayant peu d’espèces et peu de menaces.
Il ne reste plus que trois ans pour honorer notre engagement international. Et avec la crise du déclin des espèces qui se déroule présentement au pays et ailleurs sur la planète, il est grand temps pour le gouvernement fédéral de s’engager financièrement de façon considérable afin d’accroître le réseau d’aires protégées au pays.
Mais pour réellement venir à bout du déclin des espèces, une injection de fonds n’est pas suffisante. Il faut réinvestir en environnement et révolutionner notre approche en conservation.
Cette lettre d’opinion a été a été initialement publiée dans le Hill Times lundi le 22 janvier 2018.