Mon bassin versant et moi

Je suis née les pieds dans la vase, l’air salin du fleuve dans les cheveux et le regard vissé sur les côtes de l’Île d’Orléans. J’ai grandi sur les berges du Saint-Laurent, dans le minuscule village de Château-Richer, sur la Côte-de-Beaupré. Fondé en 1626, Champlain désirait y établir la première ferme de la Vallée du Saint-Laurent et en faire le garde-manger des habitants de Québec. Ce qui fut fait. Il faut avouer qu’on y cultive encore aujourd’hui le meilleur maïs du Québec – je suis à peine chauvine lorsqu’il est question de blé d’Inde! Puis, en 1753, mon patelin est devenu officiellement le tout premier village organisé de la Nouvelle-France.

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Sophie sur les battures du fleuve Saint-Laurent © Benoit Thierry

Les berges du Saint-Laurent ont donc été mon terrain de jeux infinis, terrain qui s’avère être dans le sous-bassin versant de la rivière Montmorency qui lui, compose l’immense mosaïque du bassin versant du fleuve Saint-Laurent. Haut lieu de découvertes, d’aventures et de … déchets, j’y ai faitmes premières armes d’écologiste en herbe. Accompagnée du cacardement des oies blanches, j’ai longtemps ramassé tout ce que rejetaient les marées. Des sacs de plastique aux pneus en passant par les canettes de bière, déjà dans les années 80, les traces de l’humain se faisaient sentir sur ce long littoral de la zone appelée par les spécialistes, zone Charlevoix-Montmorency. Dans cette région, les basses-terres du Saint-Laurent occupent une étroite bande d’un kilomètre de largeur longeant le fleuve entre Beauport et Saint-Joachim.
A l’époque, on nous parlait de pluies acides. Selon les données récentes du Conseil de bassin versant de la rivière Montmorency, l’eau des rivières de ce territoire est habituellement de bonne qualité, mais la turbidité lors d’épisodes de pluie peut affecter cette qualité. De plus, ce sont les plus petits cours d’eau qui subissent une plus grande pression en milieu urbain et rural et qui présentent plus de potentiel de risques de contamination. Dans la zone hydrique Charlevoix-Montmorency, ce sont principalement les lacs de tête des bassins versants des rivières Montmorency, Sainte-Anne-du-Nord et Malbaie qui sont touchés par l’acidification provenant des rejets industriels de la région des Grands Lacs et des États-Unis.

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Arc-en-ciel sur le fleuve, vu d’un quai de Château-Richer © Mathieu Lefèbvre

La Côte-de-Beaupré est aussi reconnue pour ses marais et prairies humides fréquentés par 1,5 millions d’oies blanches (2009) lors de leur migration annuelle. À ces dernières s’ajoutent plus de 350 espèces d’oiseaux qui fréquentent, à un moment ou l’autre de l’année, la région. Garrot d’Islande, macreuse à front blanc et quiscale rouilleux sont quelques-unes des espèces rares qui franchissent le ciel et pataugent le long de ma Côte-de-Beaupré.
Quant à la diversité floristique, 23 espèces végétales sont susceptibles d’y être désignées menacées ou vulnérables. L’ail des bois (Allium tricoccum) est considéré vulnérable et le noyer cendré (Juglans cinerea) est susceptible d’être désigné vulnérable. De plus, deux espèces sont particulièrement importantes, soit la gentiane de Victorin et la cicutaire de Victorin. Ces espèces endémiques de l’estuaire d’eau douce ne se retrouvent nulle part ailleurs au monde. Leur situation est très préoccupante car elles ont un statut d’espèces menacées.

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Île d’Orléans, Québec © Mélanie Guillemette

Les eaux du fleuve foisonnent et la région est caractérisée par l’omble de fontaine, le touladi, l’anguille d’Amérique et l’omble chevalier oquassa. De plus, de nombreuses espèces (telles que le capelan et l’éperlan) utilisent les embouchures des rivières afin de s’y abriter, de se nourrir ou de s’y reproduire. Sur la terre ferme, l’urbanisation, la fragmentation du milieu et la perte de milieux humides (près de 70 % au profit du développement routier et résidentiel) ont eu un impact majeur sur la biodiversité, dont le campagnol-lemming de Cooper, petit mammifère susceptible d’être désigné espèce menacée ou vulnérable au Québec.
Même si je ne vis plus aujourd’hui sur les battures du Saint-Laurent, je sais que la situation est toujours aussi fragile même si les études démontrent que la qualité de l’eau à cet endroit est considérée comme bonne. Chaque fois que j’y retourne pour marcher sur les berges me confirme que rien n’est gagné et qu’il faut poursuivre le travail pour protéger nos milieux marins et aquatiques.
Vous voulez en savoir plus sur la santé et les menaces de votre bassin versant? Visitez rapportsbassinsversants.wwf.ca, et consultez notre infographie Bassins versants 101 pour connaître la façon dont le WWF évalue l’état de l’eau douce au Canada.