À quel prix, le projet Northern Gateway?

Au mois de décembre dernier, la Commission d’examen conjoint déclarait au gouvernement fédéral que le projet Northern Gateway d’oléoduc et de pétroliers de la pétrolière Enbridge serait dans l’intérêt public. En juin prochain, le gouvernement rendra sa décision, fondée en partie sur la recommandation de la Commission. Nous vous proposons ici une série de blogues mettant en lumière les lacunes de l’examen environnemental du projet Northern Gateway.
Par Cathryn Clarke Murray, cadre supérieure en sciences de la mer
Le gouvernement fédéral est sur le point de rendre sa décision au sujet du controversé projet Northern Gateway de la société pétrolière Enbridge. Selon notre gouvernement, ce mégaprojet de « développement » créera des emplois et entraînera des retombées économiques. Sans doute, mais à quel prix? Certains estiment que c’est la faune et un immense territoire sauvage du Canada qui en paieront le prix – baleines, caribou et grizzlys, zones marines et écosystèmes d’eau douce – un prix excessif. De fait, Enbridge et la Commission d’examen conjoint admettent tous deux que le projet aurait un impact sur tous les aspects environnementaux évalués, tous sans exception.

caribouLa Commission d’examen conjoint a établi que les populations de caribou sont menacées de disparition si l’oléoduc projeté était autorisé à traverser leur habitat, qui est déjà fragmenté. © Wilf SCHURIG / WWF-Canada

De nombreuses espèces de poissons, amphibiens, plantes, oiseaux, baleines, les caribous et les grizzlys, tous seront touchés très directement. Outre toute cette faune et cette flore, ce sont leurs habitats – sur terre comme en mer, dans les lacs et les rivières – qui seront perturbés, chamboulés, mis à risque. Et si seulement cela s’arrêtait là, mais non. L’impact sera assez désastreux à d’autres égards : eaux souterraines, zones humides, le sol et l’air, bref tout ce qui compose et nourrit la faune – et nous avec – tout ce qui produit les écoservices vitaux de notre environnement. Et ces impacts se matérialiseront même si Enbridge recourait aux mesures les plus avancées afin d’en minimiser l’ampleur.
Parlons du caribou, une espèce sur laquelle le projet d’Enbridge promet d’avoir un phénoménal impact. La Commission d’examen conjoint s’est penchée sur les « effets cumulatifs » (soit l’impact total du projet combiné à celui d’autres projets de développement) sur la population boréale de caribous de Little Smoky et sur quatre populations de caribous de montagne plus au sud (Hart Ranges, Telkwa, Quintette et Narraway). L’oléoduc Northern Gateway, d’une longueur de 2 100 kilomètres, dépasse les limites critiques au croisement, donc à l’obstruction, de corridors traversant des forêts et autres habitats. Ce type de développement linéaire rendrait le caribou plus vulnérable face à son prédateur le loup, car il ne pourrait plus se cacher dans des forêts fragmentées. Le nombre de caribous risque donc de chuter, voire de s’effondrer complètement jusqu’à l’extinction de l’espèce.
Quant au grizzly, il est très semblablement menacé par le projet d’Enbridge. Le trajet de l’oléoduc fragmenterait également son habitat, ce qui se traduirait notamment par un nombre accru de collisions entre grizzlys et véhicules et ouvrirait la voie aux chasseurs de trophées. Au total, ce sont huit populations de grizzlys qui seraient touchées par un oléoduc de cette longueur. Or la Commission a déterminé que l’extinction potentielle des caribous et des grizzlys était « justifiée dans les circonstances »!

grizzlyHuit populations de grizzlys subiront les impacts du projet d’oléoduc si ce dernier est autorisé à aller de l’avant. © Natalie Bowes / WWF-Canada

Enbridge et la Commission d’examen conjoint ont profité de l’incertitude entourant certains impacts environnementaux pour faire fi de ces impacts potentiels. Selon Enbridge, les données sont insuffisantes pour évaluer les effets cumulatifs du bruit sous-marin que produirait la circulation des pétroliers sur les mammifères marins, le taux de mortalité des baleines frappées par les navires et les perturbations à l’habitat des oiseaux terrestres et des poissons d’eau douce. De fait, on ne connaît pas encore tous les impacts que pourrait avoir un tel projet sur les espèces du Pacifique et il n’y a pas actuellement de seuils à partir desquels évaluer ces impacts. Autrement dit, nous ne saurons que nous avons franchi la limite à ne pas franchir qu’une fois que nous l’aurons dépassée.
Si la Commission avait fait preuve de toute la prudence nécessaire, elle aurait noté des impacts considérables supplémentaires sur les baleines, les amphibiens et les poissons d’eau douce. Dans le cas de certaines espèces en voie de disparition, l’enjeu est critique : baleine bleue, rorqual boréal, baleine noire du Pacifique Nord, esturgeon blanc et grenouille léopard. Comment pouvons-nous en arriver à nier la moindre valeur à ces animaux, à balayer du revers de la main leur droit d’exister?

humpbackLe bien nommé Whale Channel qui abrite le rorqual à bosse, en Colombie-Britannique, est au cœur de la route de navigation associée au projet d’Enbridge, qui entraînerait une augmentation considérable du bruit sous-marin et exposerait les rorquals aux collisions avec les pétroliers. © Tim Irvin / WWF-Canada

Nous savons qu’il y a toujours un prix à payer pour l’extraction de ressources, mais en tant que société, nous devons décider de l’avenir de ce projet en tenant compte de tous les coûts et avantages. Et nous devons nous demander quel prix nous sommes prêts à payer, et à faire payer à notre environnement.