Coïncidence? Le rorqual à bosse serait moins menacé dans les eaux du Grand Ours

Écrit par Linda Nowlan, directrice de la conservation pour le Pacifique, et Louise Blight, cadre supérieure, Science de la mer du WWF-Canada

La décision du gouvernement canadien de « déclasser » le rorqual à bosse du Pacifique, de son précédent statut d’espèce « menacée » à celui de « préoccupante », a soulevé un tollé dans les médias et chez les citoyens : plus de 3 000 commentaires ont été affichés en moins de 24 heures à propos d’un seul article relatant cette nouvelle qui est devenue virale dans les médias sociaux. On se demande pourquoi cette espèce en particulier a fait l’objet d’une action aussi rapide, alors que d’autres cétacés en péril au large des côtes du nord de la Colombie-Britannique sont toujours en attente de meilleures mesures de protection. La science est peut-être fiable, mais le choix du moment est assurément louche.

Whales_2786Les trois principales menaces qui pèsent sur les rorquals à bosse au large des côtes nordiques de la C.-B. – les collisions avec les navires, les déversements toxiques et la pollution acoustique – sont liées à la navigation. © forwhales.org

Le déclassement, qui consiste à rabaisser le niveau de menace qui pèse sur une espèce en vertu de la Loi sur les espèces en péril du Canada, est en général une bonne nouvelle pour la conservation, mais cette récente annonce du gouvernement fédéral a été accueillie avec scepticisme par la population. Les doutes viennent de la rapidité exceptionnelle de cette décision prise par un gouvernement réputé pour sa lenteur quand il est question d’espèces en péril, et aussi de ses conséquences appréhendées, car elle élimine un autre obstacle à l’approbation par le cabinet Harper du projet d’oléoduc et de superpétroliers Northern Gateway d’Enbridge, une décision qui sera prise d’ici deux mois.
La loi fédérale interdit la destruction des habitats essentiels d’espèces menacées et en voie de disparition, une protection qui ne s’applique pas aux espèces dites « préoccupantes ». L’approbation d’un tel projet, qui aura pour effet d’accélérer l’augmentation de la navigation lourde dans cette zone marine préférée des rorquals à bosse, aurait presque certainement entraîné des problèmes légaux si ces rorquals étaient restés sur la liste des espèces menacées. Ce n’est plus le cas.
Trois des quatre principales menaces qui pèsent sur les cétacés, selon le Programme de rétablissement du rorqual à bosse du Pacifique Nord au Canada, sont les collisions avec les navires, les déversements de substances toxiques et les perturbations acoustiques, toutes directement liées à la navigation.
S’il est approuvé, le projet Northern Gateway ajoutera à lui seul plus de 220 nouveaux superpétroliers dans ces eaux qui constituent un habitat vital pour les rorquals à bosse. Et si les nouvelles usines de méthane liquéfié sont construites, dont plus de six sont projetées dans le nord de la C.-B., elles attireront aussi un plus grand nombre de navires dans la région. Si l’on additionne cette augmentation du trafic maritime au volume actuel de navigation lourde le long de la côte Nord de la province – transport de marchandises, bateaux de croisière, grands traversiers – on risque de voir jusqu’à 2 500 passages de navires par année dans la région d’ici 2025, soit près de trois fois plus que maintenant.
Le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC), un organisme indépendant regroupant des scientifiques spécialisés en conservation, a recommandé ce déclassement parce que les meilleures données disponibles à ce jour indiquent que les populations de rorquals à bosse augmentent dans les eaux canadiennes du Pacifique Nord. Compte tenu du fait que la pêche à la baleine a presque éliminé certains espèces de grands cétacés des océans de la Terre, le rétablissement de ces doux géants est, avouons-le, une bonne nouvelle.
Mais le moment choisi pour l’annoncer lui donne un goût amer. Comme l’a fait remarquer hier le professeur Andrew Trites, membre du COSEPAC, dans une interview au journal en ligne 24hrs Vancouver : « On pourrait dire que la politique a accéléré cette décision. Le gouvernement canadien semble plutôt lent à reconnaître les espèces que nous jugeons menacées ou en péril, mais il a l’air plus pressé quand on va dans l’autre direction. »

FinWhaleLa réalisation de plans d’action en faveur des rorquals communs – deuxièmes plus gros mammifères de la planète – qui sont menacés en C.-B. se fait attendre. © forwhales.org

Le cas de trois autres espèces de cétacés qui fréquentent les eaux côtières de la Colombie-Britannique illustre bien ce qui précède. La loi exige que des plans d’action soient établis pour protéger les rorquals communs et les rorquals bleus, tous deux inscrits à la liste des espèces menacées de la Loi sur les espèces en péril, or ce processus tarde à se réaliser. Pour ce qui est des épaulards nordiques qui résident dans ces eaux, le plan d’action est rédigé, mais seulement en version préliminaire. Les mesures de protection supplémentaires pour la plupart des cétacés – comme des règlements protégeant les habitats essentiels – nécessitent des années de délibérations judiciaires avant d’être mises en œuvre, ce qui jure avec la célérité de cette décision de déclasser les rorquals à bosse. Cette incohérence du traitement fédéral pourrait bien être la cause du cynisme que l’on observe dans le public.

Killer-whalesLes épaulards résidant le long des côtes nordiques de la C.-B. font partie des cétacés en attente de meilleures mesures de protection. © Louise Blight

Le mois dernier, nous avons écrit un blogue (en anglais) à propos d’une décision juridique où un juge de la Cour fédérale blâmait le gouvernement pour les retards inacceptables qu’il accuse dans l’élaboration de stratégies de rétablissement des espèces, une situation qui touche plus de 160 espèces inscrites à la liste de la Loi sur les espèces en péril. Dans son jugement, le juge écrivait : « À l’évidence, la Loi sur les espèces en péril a été instaurée parce que certaines espèces sauvages au Canda sont en péril. Comme le soulignent les demandeurs, nombre de celles-ci sont engagées dans une course contre la montre à mesure que les pressions augmentent sur leurs habitats cruciaux et à terme, leur survie est peut-être en jeu. »
C’est en effet parce qu’ils ont besoin de notre aide que les rorquals à bosse sont toujours considérés comme étant « en péril », même si le niveau de danger n’est que « préoccupant ».
Au-delà de cette question, il importe surtout d’accélérer les processus de protection qui se font attendre depuis trop longtemps pour assurer la conservation de tous les cétacés des côtes de la Colombie-Britannique – et de toutes les espèces en péril du Canada. C’est bien plus important que d’accélérer le déclassement d’une espèce dans une catégorie moins exigeante et ce, pour des motifs douteux.