Enbridge veut inverser le flux de son pipeline 9B de l’Ontario vers le Québec

La société d’énergie Enbridge a récemment demandé à l’Office national de l’énergie une approbation réglementaire afin de renverser le flux de pétrole et de bitume dilué pour qu’il coule désormais d’ouest en est dans son oléoduc no 9B, soit de North Westover en Ontario à Montréal au Québec.
Alors que le Canada s’affaire à prendre des décisions capitales en matière d’énergie, notamment sur l’utilisation et la destination de nos ressources énergétiques, un énorme éléphant se dresse dans le décor : les changements climatiques. Notre pays s’est engagé, tant ici que sur la scène mondiale, à réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES) qui contribuent aux changements climatiques. Et pourtant, en investissant toujours davantage dans des infrastructures de plus en plus nombreuses, complexes et gigantesques comme ces oléoducs, nous repoussons toujours plus loin la concrétisation de nos engagements.
Cette perspective est d’autant plus inquiétante que les données scientifiques les plus sérieuses indiquent que nous approchons du point de non-retour : c’est maintenant ou jamais qu’il faut accélérer nos efforts de réduction des GES. L’Agence internationale de l’énergie prévient qu’il faut laisser les deux tiers des réserves mondiales de pétrole, de charbon et de gaz dans le sol pour éviter de provoquer des changements climatiques d’une ampleur redoutable. (Pensez entre autres à l’extinction d’un tiers des espèces vivantes de la planète, à la réduction de l’approvisionnement alimentaire mondial, à la disparition des récifs de corail…) Cela signifie que si l’on continue de construire de telles infrastructures comme si de rien n’était pendant encore cinq ans, la planète amorcera une ère de changements climatiques aussi imprévisibles qu’incontrôlables. Toute décision portant sur l’énergie a une incidence sur l’avenir : soit qu’elle nous condamne à la catastrophe, soit qu’elle nous en éloigne.

Vue aérienne d’un oléoduc de Plus Petrol oil installation courant à travers l’Amazonie, Trompeteros, Peru. © Brent Stirton / Getty Images / WWF
Ironiquement, les effets sur le climat de la combustion de carburants fossiles ont atteint un seuil critique au moment même où les plus importantes réserves de pétrole du Canada – les sables bitumineux – sont devenues accessibles à prix concurrentiel. Nous ne sommes pas les seuls à être confrontés à ce problème et d’autres pays ont choisi de relever le défi autrement. Le Mexique, par exemple, est un important producteur de pétrole qui a adopté plus tôt cette année une loi historique sur la lutte aux changements climatiques. La Norvège est un autre exemple de pays exportateur de pétrole et de gaz qui vise à se démarquer comme chef de file dans ce domaine. L’Australie a mis en place une taxe sur le carbone touchant à l’ensemble de son économie dans le respect de son engagement à instaurer un régime de plafonnement et d’échange.
De son côté, le Canada se précipite dans l’autre direction, investissant chèrement dans le développement le plus rapide possible de l’exploitation et des infrastructures gazières et pétrolières – tout en affaiblissant les lois environnementales connexes – en l’absence de tout plan énergétique et climatique national.
C’est un pari risqué qui suppose que l’on ne se préoccupera jamais sérieusement des changements climatiques. Cependant, avec la fonte rapide des glaces de l’Arctique, les grandes sécheresses qui menacent la sécurité alimentaire et les retombées de l’ouragan Sandy, l’indifférence semble de moins en moins possible.
Et l’enjeu ne se résume pas à des immobilisations abandonnées dans une économie évidée, il s’agit aussi de la crédibilité du Canada qui en a pris pour son rhume sur la scène mondiale, et surtout de l’héritage douteux que nous laisserons aux générations futures. Alors que les nations se réunissaient au Qatar pour discuter des changements climatiques, au fond de la salle se retrouvait le Canada, seul pays à s’être retiré du Protocole de Kyoto.
Ce n’est pas cette prochaine décision sur le sort du pipeline 9B qui déterminera à elle seule notre avenir. Mais c’est le genre de choix qui peut nous faire avancer ou reculer devant le précipice. Où tracer la ligne? Quand assumerons-nous la responsabilité inhérente à notre volonté d’être une superpuissance énergétique du xxie siècle, celle d’être nécessairement un chef de file de la lutte aux changements climatiques?