Pleins feux sur le léopard des neiges – le jour où j’ai déjoué le prince des montagnes – 2e partie

par Rinjan Shrestha, scientifique de la conservation
Le WWF-Canada vous propose de nouvelles espèces pour adoption, dont le léopard des neiges. Voici la suite de notre série de billets sur le léopard des neiges, un des moins bien connus des grands félins.
Vous avez raté la première partie de cette aventure? Retrouverez-la ici.
Conformément au protocole établi, le président du comité local de conservation du léopard des neiges, Himali Chungda Gurung, a quitté le campement pour aller vérifier si c’était bien un léopard des neiges qui avait déclenché le signal. Dans l’intervalle, de notre position au camp de base nous avions également perçu du mouvement dans les alentours du piège. Munis de jumelles et d’une longue-vue, nous avons examiné cette zone avec soin et identifié un léopard des neiges adulte. Comme il se promenait à bonne distance du piège lui-même, nous avons cru un instant qu’il s’était débarrassé du lasso, ce qui était bien la pire chose qui pouvait arriver dans une telle situation.

Léopard des neiges pris au piège; on voit le transmetteur à l’avant-plan. ©Kamal Thapa/WWF
Léopard des neiges pris au piège; on voit le transmetteur à l’avant-plan. ©Kamal Thapa/WWF

Quelques minutes plus tard, nous sommes rassurés par l’appel par walkie-talkie d’Himali, qui a vu un autre léopard pris au piège. Mon instinct de biologiste est aussitôt éveillé, et je commence par me demander ce qui explique que l’on trouve deux léopards adultes ensemble, car l’espèce est très solitaire en dehors de la saison des amours, or nous sommes en novembre et c’est bien trop tôt pour cela. Mais il y a plus urgent et je renvoie cette intéressante question à plus tard, en me promettant d’y revenir.
Dès que nous recevons le message d’Himali, je me prépare à quitter le camp, accompagné du technicien de la faune Nandu Ram Acharya, et de Kamal Thapa responsable au WWF de la recherche sur la faune de montagne. Je suis tellement excité à l’idée de rencontrer « mon » léopard des neiges que je parcours la distance jusqu’au piège en une demi-heure, un trajet d’une heure et demie en temps normal. Himali, Kamal et moi-même nous plaçons à une vingtaine de mètres du léopard, protégés par une anfractuosité de rocher qui permet d’échapper au regard du léopard, ce qui évite également de le stresser et de l’agiter inutilement. C’est alors que nous nous rendons compte que Nandu n’est pas avec nous; habitué qu’il est de pister le tigre dans les plaines, je comprends qu’il ait de la peine à nous suivre sur les flancs abrupts de l’Himalaya. Pendant que nous attendons que Nandu nous rejoigne, Himali ne cesse de demander s’il devrait aller le chercher et le ramener sur son dos. C’est qu’Himali craint que le léopard n’arrive à se libérer du lasso, ce que j’estime fort peu probable, et je m’emploie à le rassurer et lui suggère de respirer lentement pour retrouver son calme.
M. Nandu, technicien de la faune, s’apprêtant à tirer sa fléchette de tranquillisant pour immobiliser notre léopard des neiges. ©Rinjan Shrestha/WWF
M. Nandu, technicien de la faune, s’apprêtant à tirer sa fléchette de tranquillisant pour immobiliser notre léopard des neiges. ©Rinjan Shrestha/WWF

Il est déjà 9 heures lorsque tout le monde arrive enfin sur place, et tous sont d’accord que nous sommes parfaitement situés pour décocher la fléchette de tranquillisant. Nandu peine à retrouver son souffle, et je lui dis de prendre tout le temps dont il a besoin avant de décocher sa fléchette, car celle-ci doit absolument toucher l’arrière-train du léopard; le sédatif utilisé pourrait être mortel et il est impératif de toucher l’animal au bon endroit. Nous nous rapprochons un peu du léopard, mais il s’agite à notre approche et nous devons nous arrêter à une distance d’environ 10 mètres. Nous devons attendre environ 30 minutes de plus, le temps que le vent et le léopard se calment. Nandu décoche sa fléchette et atteint la cible à l’arrière-train, comme nous le voulions. C’est parfait, il n’y a plus qu’à attendre que notre léopard s’endorme, ce qui lui prend 8 minutes. Je vérifie alors qu’il est bien endormi en touchant sa queue de mon bâton de marcheur, et il ne bronche pas, ça va, il dort! L’équipe peut s’approcher et on amorce la procédure de routine avant l’installation du collier GPS relié à un satellite. D’après la dentition et le poids de l’animal – environ 40 kilos – ainsi que sa taille – 1,90 mètre du museau au bout de la queue – on estime qu’il s’agit d’un adulte de 4 ou 5 ans. Gary Koelhler, notre biologiste spécialiste des carnivores qui nous aidera par la suite à installer de nouveaux pièges, nous indique qu’il s’agit d’un mâle. Nous décidons de lui donner le nom de Ghangjenjwenga, en l’honneur du dieu de la montagne.
Le site de la capture ne se prêtant guère à une remise en liberté sécuritaire, nous décidons de descendre notre léopard dans un lieu plus sûr. Bal Krishna Giri peut alors lui administrer l’antidote au sédatif, et nous l’observons pendant un petit quart d’heure, dans l’attente de son réveil. À peine réveillé, Ghangjenjwenga se secoue la tête vigoureusement, se relève tranquillement et part à la course vers une crevasse située entre deux gros rochers plus haut. Nous restons sur place environ une demi-heure avant de retourner à notre campement, afin de nous assurer que Ghangjenjewenga s’est bien remis de son aventure.
Ghanjenjwenga repart dès son réveil. ©Rinjan Shrestha/WWF
Ghanjenjwenga repart dès son réveil. ©Rinjan Shrestha/WWF

Depuis lors, je reçois toutes les 4 heures un courriel du collier GPS de Ghangjenjwenga, qui m’informe de ses déplacements dans la région du Kanchenjunga. Je sais donc qu’il a fait trois séjours en Inde et a traversé un col de montagne à près de 5 900 mètres d’altitude. À ce que je sache, notre léopard pourrait bien être le premier félin dans le monde dont on sache qu’il fréquente de telles altitudes.
Je suppose que certains d’entre vous se demandent quelle est l’utilité de cette équipée pour suivre les léopards des neiges par satellite. C’est bien simple, le manque de connaissances sur ce prince des montagnes est le principal obstacle à la mise sur pied de programmes de conservation de cette espèce en voie de disparition. En effet, nous en savons très peu sur les habitudes et les besoins de ce grand chat. Par exemple, nous ne savons pas quel type d’habitat il préfère – où il aime vivre et se reproduire -, ni la superficie qu’il faudra mettre sous protection pour assurer la conservation de l’espèce. Nous devons par ailleurs pouvoir déterminer la nature et l’ampleur de l’impact des facteurs anthropogéniques et climatiques de stress, et quelles mesures seront efficaces pour contrer le braconnage et l’exécution de léopards en riposte à l’attaque de bétail. Grâce à l’information obtenue par satellite, nous pourrons répondre à toutes ces questions et mettre au point des stratégies efficaces de conservation des populations de léopard des neiges et de leur habitat pour les générations à venir.
Adoptez symboliquement un léopard des neiges, et aidez le Fonds mondial pour la nature à poursuivre ses programmes de conservation. Rendez-vous au boutique.wwf.ca.